13 juin 2018
Proposition de loi relative au défibrillateur cardiaque (ORDRE DU JOUR RÉSERVÉ À NOTRE GROUPE)
Daniel CHASSEING - Rapporteur de la Commission des Affaires sociales
Monsieur le président,
Madame la secrétaire d’État,
Monsieur le président de la commission,
Cher Jean-Pierre Decool,
Mes chers collègues, en France,
Le taux de survie à la suite d’un arrêt cardiaque n’excède pas 8 %. Près de 50 000 personnes en meurent chaque année dans notre pays.
Ces chiffres ne sont pas une fatalité. Ces décès sont pour beaucoup évitables : les études scientifiques concluent à des gains majeurs de survie lorsqu’une défibrillation est rapidement pratiquée. Vous l’avez dit, madame la secrétaire d’État, le taux de survie est de 85 % dans les toutes premières minutes.
La prise en charge des victimes est une lutte contre le temps : chaque minute représente 10 % de chances de survie en moins. Alors que le SAMU intervient en 10 à 15 minutes en moyenne, l’accès rapide et effectif à un défibrillateur ainsi que la démocratisation de son usage sont des enjeux cruciaux pour le bon fonctionnement de la chaîne de survie.
Dans d’autres États dotés de programmes d’accès public à la défibrillation, les taux de survie sont bien supérieurs au taux français. Une étude américaine réalisée dans les années 2000 dans les casinos de Las Vegas, où les accidents cardiaques sont nombreux pour des raisons que chacun pourra aisément imaginer, a démontré que l’accès à des défibrillateurs utilisés par du personnel formé permet d’atteindre un taux de survie de 74 %.
Les pouvoirs publics français ne sont certes pas restés immobiles face à cette question.
Depuis un décret de 2007, l’utilisation des défibrillateurs automatisés externes, les DAE – comme leur nom l’indique, ils fonctionnent de manière entièrement automatisée et sont donc facilement utilisables –, est ouverte au grand public.
Des dispositifs de sensibilisation, voire de formation aux « gestes qui sauvent » ont par ailleurs été mis en place. En particulier, un arrêté de 2009 a prévu une initiation du grand public à l’utilisation des DAE.
L’enjeu demeure cependant le passage de ces évolutions réglementaires dans les pratiques citoyennes. De ce point de vue, de fortes marges de progrès existent. La sensibilisation du grand public aux gestes de premiers secours demeure tout à fait insuffisante en France, 20 % seulement de la population ayant suivi une formation. C’est évidemment trop peu.
Le flou entourant les obligations des collectivités publiques et privées constitue également un obstacle majeur. En l’absence d’obligation d’installation dans les lieux publics, l’implantation des DAE repose surtout sur le volontarisme. Selon les estimations des services ministériels, notre territoire compte actuellement de 160 000 à 180 000 défibrillateurs en accès public.
Par ailleurs, si l’installation des défibrillateurs, qui sont des dispositifs médicaux, est en principe assortie d’une obligation de maintenance, sa mise en œuvre est souvent difficile du fait de la complexité de la chaîne de distribution et d’exploitation. Dans ce contexte, il est très probable qu’une large partie du parc des DAE installés sur le territoire français ne soit pas fonctionnelle, ceux-ci étant bien souvent la cible de dégradations.
Il ne suffit cependant pas de sensibiliser la population à l’utilisation des DAE et d’en équiper les lieux publics ; encore faut-il qu’il soit possible, dans une situation d’urgence, d’accéder rapidement à un équipement.
Or, à l’absence d’obligation en matière d’équipement s’ajoute une absence d’obligation de recensement. Il est pourtant indispensable pour un témoin d’arrêt cardiaque de localiser le défibrillateur fonctionnel le plus proche. Cette situation est d’autant plus absurde que la plupart de nos concitoyens disposent de smartphones dont la fonction de géolocalisation pourrait sauver des vies.
Face à cette carence de l’action publique, des initiatives privées ont vu le jour. En particulier, l’Association pour le recensement et la localisation des défibrillateurs, ARLoD, créée en 2008, a mis en place une base de données en ligne visant à recenser l’ensemble des DAE présents sur le territoire national, avec une implication que je salue. Cette base n’est cependant pas exhaustive : chaque jour, de nombreux défibrillateurs sont nouvellement installés, devenus hors d’usage ou déplacés, sans que ces informations fassent l’objet d’un recensement obligatoire.
Nous avons par ailleurs rencontré les représentants d’applications mobiles, notamment ceux de SAUV Life, proposant la géolocalisation de personnes susceptibles de porter assistance aux victimes. L’intervention de ces « bons Samaritains » formés aux gestes de premiers secours et volontaires soulève cependant un certain nombre de problèmes éthiques et juridiques, notamment en matière de responsabilité. Bien qu’il ne s’agisse pas directement de notre sujet, Mme la secrétaire d’État pourra peut-être, dans un deuxième temps, nous préciser quelles sont les évolutions réglementaires à attendre.
La présente proposition de loi, qui résulte d’une initiative et de travaux largement communs à l’Assemblée nationale et au Sénat, n’a pas l’ambition d’apporter une réponse à l’ensemble de ces enjeux. Elle vise cependant à mieux encadrer les aspects les plus matériels de ces questions, en assurant l’accessibilité effective de la défibrillation cardiaque sur l’ensemble de notre territoire.
Son article 3 crée tout d’abord une obligation nouvelle d’équipement par un DAE de certains types et catégories d’établissements recevant du public qui seront définis par décret en Conseil d’État. Il prévoit ensuite, de manière complémentaire, une obligation de maintenance des DAE.
Je me félicite bien entendu de ces dispositions, qui permettront de clarifier l’asymétrie sur laquelle repose le régime actuel : tous nos concitoyens ont le droit d’utiliser un DAE, mais il n’existe pas d’obligation générale d’équipement des lieux publics. Cette évolution législative permettra enfin aux politiques de prévention d’avancer, si l’on peut dire, sur les deux jambes.
On peut cependant s’interroger sur le périmètre des ERP qui sera retenu dans le décret. Aucune orientation générale n’est en effet prévue par le texte, mais certains lieux, vous l’avez rappelé, madame la secrétaire d’État, sont un cadre propice à la survenue d’arrêts cardiaques et devraient impérativement figurer dans cette liste : je pense aux piscines, aux enceintes sportives, mais vous pourrez sans doute nous indiquer d’autres localisations essentielles.
Je suis par ailleurs bien conscient des réticences soulevées par le coût potentiel d’un équipement généralisé des lieux publics en défibrillateurs. Ce coût paraît relativement limité : selon le ministère de la santé, il faudrait compter entre 1 000 euros et 1 500 euros pour l’acquisition d’un défibrillateur, et 120 euros par an pour en assurer la maintenance. Selon l’Assemblée des départements de France et l’Association des maires de France et des présidents d’intercommunalité que j’ai contactées, les véritables inquiétudes relayées par les élus locaux portent moins sur le principe de l’obligation que sur le nombre d’équipements à installer et leur lieu d’implantation. Je considère à cet égard que le décret devra ménager des marges de souplesse afin de permettre aux élus locaux de prendre les mesures les plus appropriées en fonction de la configuration de leur territoire.
L’article 3 bis prévoit ensuite la création d’une base de données nationale permettant de renseigner les lieux d’implantation et l’accessibilité des DAE. Je souligne que cette base devra être interconnectée avec les SAMU et les services départementaux d’incendie et de secours, les SDIS, comme vous l’avez du reste indiqué, madame la secrétaire d’État.
J’en terminerai en saluant l’action et la détermination de nos deux collègues parlementaires du Nord, Jean-Pierre Decool, aujourd’hui sénateur, mais qui a rédigé le texte que nous examinons aujourd’hui en tant que député, et notre ancien collègue Alex Türk, qui se sont engagés depuis plusieurs années pour faire aboutir ce texte. Cet engagement a également pris une forme très pratique et exemplaire : nos deux collègues ont en effet consacré la majeure partie de ce qui constituait alors leur réserve parlementaire à l’équipement en défibrillateurs de leur département, qui en compte aujourd’hui plus de 4 000.
Je voudrais également remercier Alain Milon, le président de notre commission des affaires sociales, de m’avoir confié ce rapport sur un maillon essentiel de la chaîne de survie en cas d’arrêt cardiaque.
Je vous demande donc, mes chers collègues, d’adopter sans modification cette proposition de loi. Il est de notre devoir de tout mettre en œuvre pour encourager la citoyenneté et la solidarité de nos concitoyens dans de telles situations d’urgence.
Jean-Pierre DECOOL - Orateur pour notre Groupe
Monsieur le président,
Madame la secrétaire d’État,
Monsieur le président de la commission,
Monsieur le rapporteur,
Mes chers collègues,
Je dois avouer être saisi d’une certaine émotion à l’instant où j’évoque, devant vous, la genèse et les grandes lignes de cette proposition de loi.
Le hasard de la vie politique veut que ce texte, en réalité une coproduction lancée avec Alex Türk, soit un texte que j’avais déposé et défendu en 2016 lorsque j’étais député. C’est désormais avec la casquette de sénateur que je viens le soutenir aujourd’hui.
Cela a été dit par plusieurs orateurs, 50 000 personnes décèdent, chaque année, des suites d’un arrêt cardiaque. Faut-il pour autant s’en tenir à ce constat ? L’homme n’a jamais accepté cette fatalité de la mort. Jadis, toutes les méthodes ont été utilisées pour réanimer ces malades aux portes de la mort : jet d’eau glacée, fer rouge sur le thorax, flagellation des pieds. En 1788, Charles Kite a été le premier à faire le pari de l’électricité pour « ressusciter les morts », selon ses propres mots. Deux siècles plus tard, le premier défibrillateur automatique a fait son apparition, en 1994.
L’homme a donc inventé une machine pour surseoir à la mort. Quelle technologie fantastique ! Nul doute que, dans des décennies, cette année 1994 sera un point de repère dans l’histoire mondiale de la santé. Pourtant, mes chers collègues, notre société demeura immobile face à cette invention de génie. Comme prostrée, elle observe cette technologie, sans se l’approprier.
Aujourd’hui, en France, le taux de survie est inférieur à 8 %, quand d’autres pays atteignent un taux de 74 %. Plus le secteur est équipé, plus le taux de survie augmente. C’est une réalité incontournable.
Pourtant, il s’agit d’un geste citoyen très simple. Vous êtes en face d’une personne qui fait un malaise. Vous ne connaissez pas la nature de ce malaise. Peu importe, vous ne vous posez pas la question. Vous agissez. Vous disposez de quatre à six minutes pour tenter de la sauver. Il s’agit d’une urgence absolue. À défaut, les fonctions vitales sont altérées et le décès survient. Ou c’est une fibrillation et l’appareil se déclenche, ou ce n’est pas une fibrillation et l’appareil ne réagit pas. C’est la haute technologie du défibrillateur qui décide.
Dès 2006, je le rappelle, Alex Türk, Sylvie Desmarescaux, alors sénateurs, et votre serviteur ont aidé à équiper de nombreuses communes du département du Nord de défibrillateurs entièrement
automatiques grâce à la réserve parlementaire : 4 000 appareils y ont été installés, permettant de sauver plus de cinquante vies, dont celles de certains élus locaux. L’expérience est unique en France.
Le réseau s’est étoffé et renforcé, mais le nombre d’appareils est toujours trop faible sur l’ensemble du territoire. D’où cette proposition de loi déposée dans un premier temps par Alex Türk, le 1er avril 2015, mais qui n’avait pas été inscrite à l’ordre du jour du Sénat.
Elle avait pour objectif de rendre obligatoire l’installation de ces appareils dans les lieux publics. Pour ma part, j’ai repris le corps du texte lorsque j’étais à l’Assemblée nationale. Ce texte a été voté le 13 octobre 2016.
Dès lors, chacun comprend l’importance qui s’attache au vote de ce texte. Il constitue un pas de géant au regard du retard pris par rapport à nos voisins. C’est la raison pour laquelle je remercie le rapporteur, Daniel Chasseing, et la commission présidée par Alain Milon d’avoir validé le texte sans modification.
Pour sauver des vies, il faut que ces défibrillateurs soient entretenus. C’est pourquoi nous proposons la mise en place non seulement d’une obligation d’entretien, mais aussi d’un registre numérique, accessible à tous, pour identifier le défibrillateur le plus proche et ne pas perdre une seconde.
Madame la secrétaire d’État, cette proposition de loi est le prolongement de douze années de ténacité, mais la tâche n’est pas achevée. Je pense à la nécessité de créer une base de données épidémiologiques, pour faire avancer la recherche et comprendre l’origine de cette pathologie. La formation est également indispensable. Enfin, cela a été dit, je sais que le Sénat est équipé de défibrillateurs. Mais savez-vous, mes chers collègues, où sont les appareils ? Avons-nous été formés, nous, parlementaires, les agents et assistants l’ont-ils été ?
Ne perdons pas de temps. Cette proposition de loi a été votée à l’Assemblée nationale et son vote conforme permettra sa mise en place immédiate. Avant tout, elle permettra de sauver des vies. C’est une urgence absolue.