07 mars 2019
Proposition de loi relative à la nationalisation des sociétés concessionnaires d'autoroutes et à l'affectation des dividendes à l'Agence de financement des infrastructures de transport de France
Monsieur le Président,
Madame la Ministre,
Monsieur le rapporteur,
Mes chers collègues,
Nous examinons aujourd’hui une proposition de loi visant à nationaliser 14 sociétés concessionnaires d’autoroutes.
Il a déjà été rappelé que la privatisation des sociétés concessionnaires d’autoroutes intervenue en 2006 n’avait pas fait l’unanimité, loin s’en faut… et c’est sans doute ce qui a motivé nos collègues du groupe communiste, républicain, citoyen et écologiste à rédiger cette proposition de loi.
Alors bien sûr, nous sommes d’accord avec le constat : la situation actuelle n’est pas satisfaisante. Mais de façon tout aussi certaine, nous sommes en désaccord sur la temporalité de cette proposition de loi.
En effet cette proposition de loi n’est pas opportune. Débourser 50 milliards d’euros pour nationaliser des sociétés – dont certaines verront leur concession expirer dans les vingt prochaines années - ne nous paraît pas seulement déraisonnable mais aussi irréaliste.
Où trouver l’argent ? La France doit-elle s’endetter plus encore ? L’article 3 du texte relatif au financement des nationalisations propose une augmentation du taux de l’impôt sur les sociétés. C’est évidemment inenvisageable et fantaisiste depuis l’adoption du PLF 2018 qui prévoit sa baisse progressive, ce dont nous nous félicitons bien entendu.
Le Gouvernement est par ailleurs engagé dans un grand et beau chantier : le fameux projet de loi LOM, d’orientation des mobilités.
Dans une dizaine de jours, nous aurons un débat en séance publique qui traitera en partie des autoroutes et des projets d’infrastructures notamment, mais pas de leur mode de gestion, ce que nous regrettons.
Ce débat est opportun non pas aujourd’hui et pour demain, mais demain pour dans 15 ou 20 ans, lorsque les concessions arriveront progressivement à leurs termes.
Car il faut bien l’admettre, la privatisation n’est pas la meilleure idée que nous ayons eu il y a treize ans.
A la fois parce que le prix des cessions a largement été sous-estimé selon le rapport établi en 2009 par la Cour des Comptes ; mais aussi parce que les contrats de concessions se sont révélés extrêmement piégeants pour l’État.
Cette privatisation fut effectivement une bonne affaire, mais pas pour l’Etat.
Au moment même où la très grande partie du réseau est déjà bâtie, la rentabilité de ces infrastructures ne fait qu’augmenter : 1,45 milliard d’euros distribués aux actionnaires en dividendes en 2014, puis 3,3 milliards en 2015, 4,7 milliards en 2016, et 1,7 milliard pour l’année 2017.
L’Autorité de la Concurrence avait indiqué dans son avis en 2014 que les sociétés concessionnaires d’autoroutes affichent une rentabilité exceptionnelle qui ne se justifie ni au regard de leurs coûts ni au regard des risques pesant sur elles.
Par ailleurs, la réalisation des travaux sur les tronçons concédés a suscité une vive inquiétude, puisqu’ils sont souvent effectués par des entreprises liées aux sociétés concessionnaires.
Cette pratique est de nature à augmenter le prix de ces travaux.
D’abord, parce que la concurrence s’en trouve réduite. Ensuite, parce que le montant des travaux donne lieu à des contreparties de la part de l’Etat, allant d’une hausse supplémentaire des péages à l’allongement des concessions consenties. Les sociétés concessionnaires pourraient succomber à la tentation d’augmenter les prix des travaux réalisés par les sociétés amies.
A cette situation, s’ajoute l’augmentation constante des péages : + 20% depuis la privatisation. Nous en sommes relativement protégés dans les Hauts de France, où beaucoup d’autoroutes sont gratuites.
Je me permets à cet égard de rappeler l’article 4 de la loi de 1955 instituant le régime des autoroutes. Celui-ci dispose que les autoroutes sont en principe gratuites. Principe qui, de nos jours, ressemble à s’y tromper à une exception.
La plupart des autoroutes sont en effet payantes et les augmentations des tarifs sont très difficiles à endiguer. En 2015, l’Etat avait tenté de geler leur hausse mais cela avait été fait en violation des contrats de concessions.
Pour cette raison, à partir de cette année et pour les quatre prochaines, l’usager paiera en plus de l’augmentation annuelle classique une augmentation équivalant à 500 millions d’euros.
Nous regrettons donc vivement le manque de vision stratégique de l’Etat sur ce dossier, de la privatisation de 2006 au suivi aléatoire des concessions accordées aux sociétés d’autoroutes.
D’autant que ce manque de vision aboutit à des conséquences malheureuses pour les usagers, pour les Français.
Dans ce contexte, le rôle de l’ARAFER doit être renforcé pour plus de transparence et de concurrence, pour réduire ces dommages collatéraux.
Le groupe Les Indépendants ne votera donc pas cette proposition de loi, inopportune en l’état, mais nous prenons date du débat sur la gestion de nos autoroutes est un débat nécessaire.
C’est un débat nécessaire car dans le cadre concessif qui a été développé en 2006 et qui doit évoluer, Madame la Ministre, pour réduire les conséquences incroyables pour l’Etat et pour les usagers.
Mais c’est surtout un débat nécessaire pour les prochaines années, lorsqu’il s’agira de reposer la question du mode de gestion de ces infrastructures stratégiques.
Le débat que nous aurons prochainement sur la loi LOM sera, nous l’espérons, l’occasion de poser les bases de ces réflexions.