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Claude MALHURET : Déclaration de politique générale de la Première ministre Élisabeth Borne

06 juillet 2022


Déclaration du Gouvernement, suivie d'un débat, en application de l'article 50-1 de la Constitution

 

Monsieur le Président,

Madame la Première Ministre,

Chers Collègues,

Depuis le 19 juin, tout le monde proclame sa victoire avec un art admirable de l’auto-persuasion. Les uns ont gagné parce qu’ils n’ont pas perdu, les autres ont gagné bien qu’ils aient perdu, d’autres enfin croient avoir gagné parce qu’ils n’ont pas compris qu’ils avaient perdu. On connaissait les victoires à la Pyrrhus, il y a maintenant les défaites gagnantes.


La vérité est beaucoup plus simple, et brutale et je m’étonne que personne n’en ait parlé jusqu’ici : les deux vrais vainqueurs de ces élections sont le populisme et l’extrémisme. On en a vu les premiers résultats dès cet après-midi et le déplorable spectacle à l’Assemblée nationale.


Lorsqu’au premier tour de la présidentielle les extrêmes recueillent 57% des suffrages, lorsque les uns multiplient le nombre de leurs députés par 5 et les autres par 10, c’est une gifle pour tous les partis démocratiques. Tous.

Il y a cinq ans la France était citée en exemple. Elle échappait à la vague de populisme qui frappe les démocraties et qui a donné Trump, Bolsonaro, le Brexit, Orban et quelques autres. Aujourd’hui elle est rattrapée par la patrouille.

Elle ne doit son salut provisoire qu’à une particularité historique. Alors qu’ailleurs le populisme n’est que d’extrême droite, chez nous où l’école apprend aux élèves à adorer Camille Desmoulins et à préférer Robespierre à Tocqueville, il est coupé en deux, ce qui l’empêche d’arriver au pouvoir. Pour le moment.


Mais les extrêmes sont moins éloignés qu’on ne le pense. Ce qui les rapproche est bien plus fort que ce qui les sépare : la haine de l’Europe et de l’OTAN, l’anti-américanisme, Assad, Poutine, l’Ukraine, les retraites, les programmes économiques délirants, le complotisme, le soutien aux antivax et les fake news, la posture tribunicienne, l’obsession du soupçon et de la dénonciation.


Ce qui les sépare : leurs histoires respectives et leurs chefs qui se détestent. Certains croient leur hybridation impossible. Elle gagne chaque jour du terrain. Regardez les transfuges, les militants qui se font des clins d’œil, les reports massifs du deuxième tour des législatives. Et il y a chaque jour un peu moins de différence entre la xénophobie des uns et le racialisme des autres qui hiérarchise les gens selon leur degré de mélanine. Est-ce qu’il y a quelqu’un ici qui croit que Taha Bouhafs ou Danielle Obono, l’amie de l’antisémite Corbyn, sont anti-racistes ?


Aujourd’hui, au-delà des apparences électorales, la France voit s’affronter un pôle européen et républicain et un pôle populiste et nationaliste, le lepéno-mélenchonisme. Ce sont les jumeaux de la ruine. Qui peut affirmer que nous n’assisterons pas demain, comme en Italie, au regroupement des ZADistes et des fachos – fâchés ou pas –, au profit de celui qui aura terrassé l’autre.


Car ce qui les sépare c’est aussi la stratégie. Pour les mélenchonistes la tenaille du chaos à l’Assemblée et du chaos dans la rue. Pour les lepénistes la respectabilité au service d’un objectif : après le chaos, nous.


À ma gauche le général Tapioca du Vieux Port, chauffé à blanc par des résultats qu’il surestime, ressort son marxisme archi-trépassé, son keynésianisme pour cour de récré : on augmente les dépenses de 250 milliards et hop, ça en ramène 267. Dans une exaltation qui lui donne plus que jamais l’air de parler depuis le sommet d’une barricade, l’expert en nigologie depuis le trotskisme de sa jeunesse jusqu’au soutien inconditionnel à Poutine, a ressorti le programme commun du frigo et l’a imposé au reste de la gauche. Avec en prime l’entrée de la France dans l’alliance bolivarienne. C’est un peu la Yvette Horner de la politique. Son blog comporte une liste de 180 thèmes rangés par mots clés. Démocratie n’y figure pas.


Avec l’effarant appui de pas mal de médias prosternés comme des lapins dans les phares, il s’est décrété Premier Ministre. Le plus cocasse est que certains l’ont cru. Après tout dans l’Empire romain on a bien nommé un cheval Consul.


À ma droite, l’héritière du château de Montretout, que ça n’empêche pas de parler au nom du peuple, a une stratégie plus intelligente, donc plus dangereuse. Oublié le père Le Pen qui n’a réussi, par ses outrances, qu’à devenir le Maréchal Pétrin. Depuis deux mois le mot d’ordre, c’est : pas de vague. C’est bien simple, maintenant quand elle passe à la télé, sourire jusqu’aux oreilles, dents blanches, haleine fraîche et tout le monde il est beau tout le monde il est gentil, on croirait voir Lecanuet. Plus les républicains expliquent qu’ils sont dans l’opposition, plus elle sous-entend qu’elle n’exclut pas de faire une fleur au Gouvernement. Elle demande maintenant de siéger au centre de l’hémicycle et fait prendre des cours de maintien à ses troupes. Attention à ce contrepied. Ce pourrait bien être le baiser qui tue pour la majorité ou la droite républicaine. Ça n’a pas échappé aux insoumis, qui dénoncent déjà avec des cris d’orfraie une collusion qui n’existe pas.


Ces deux extrémismes sont dangereux et nous imposent trois responsabilités. La première est d’éviter de leur courir après. Parce que l’une des choses les plus tristes dans ces élections c’est d’avoir vu des bataillons entiers des républicains de droite et de gauche emboîter le pas aux extrémistes.


Quand, dans tant de départements, des responsables de la droite républicaine refusent de suivre l’exemple du Président du Sénat et d’appeler comme lui à voter le 19 juin pour les candidats démocrates contre les extrêmes, il y a un problème. Quand un candidat à la primaire présidentielle annonce qu’il voterait Zemmour au deuxième tour contre Macron, il y a un problème.


Mais le plus navrant c’est le naufrage d’une grande partie de la gauche. Après la défaite de 2017 le PS avait vendu son siège, en 2022 il a vendu son âme. Adepte du « plus c’est gros, plus ça marche », le mal nommé Olivier Faure ose comparer l’alliance avec LFI au Front populaire en faisant semblant de ne pas voir l’éléphant dans la pièce : le Front populaire était dirigé par la gauche de gouvernement, pas par le projet insensé des insoumis. Le plus stupéfiant c’est que les nouveaux pacsés s’entendent à peu près comme des chats dans un sac. Totalement opposés sur l’Europe et l’OTAN, sur le nucléaire, sur la loi El Khomri, sur la retraite à 60 ans, sur la VIème République, ils ne sont d’accord sur rien.


Cazeneuve, Delga, Cambadélis et beaucoup d’autres l’ont bien compris : c’est l’identité des socialistes depuis le congrès de Tours qui disparaît quand on passe de Léon Blum à Léon Trotski. C’est la victoire posthume de Guesde sur Jaurès. « Ça sent l’histoire ! » disait Mélenchon avec sa modestie habituelle au lendemain de l’accord. Moi je trouve plutôt que, comme disait Edouard Herriot, ça sent l’andouillette pour parler poliment.

La deuxième responsabilité des démocrates, c’est de comprendre les raisons du vote populiste et les moyens de le dégonfler. Continuer de prétendre que les problèmes qui nourrissent cette vague n’existent pas, refuser depuis trente ans de s’interroger sur ce qui se passe est un vrai danger pour la démocratie. Le danger d’avancer avec un bandeau sur les yeux.


La troisième responsabilité des démocrates, c’est de réussir. Gouverner avec une majorité relative est un défi. S’opposer aussi. Nous savons déjà que la coalition ou le pacte de gouvernement n’auront pas lieu. Ne reste donc que la méthode du cas par cas. Elle impose de changer les habitudes : un Gouvernement qui propose au lieu d’imposer, une opposition qui compose au lieu d’empêcher.


Majorité et opposition républicaines sont condamnées à se supporter. Ne pas y parvenir serait la recette infaillible de l’impuissance face à la crise économique et aux défis sociaux qui s’annoncent. Ne pas y parvenir n’entraînerait pas la prochaine fois la victoire d’une famille contre l’autre, mais la défaite de tous face aux populistes. Il paraît que la culture du compromis n’existe pas en France. Il va bien pourtant falloir s’y résoudre.


Autant dire, Madame la Première Ministre, qu’en entrant à Matignon vous avez accepté un nouveau job, celui de démineuse en chef. Même si sa majorité vous est opposée, la tâche ne me paraît pas impossible au Sénat. Elle suppose un respect réciproque, ça tombe bien, c’est la tradition de la maison.

Le Groupe Les Indépendants sera, en tous cas, fidèle à cette ligne de conduite. Elle est la seule qui réponde aux défis auxquels est confronté le pays et au message que nous ont envoyé les français le 19 juin.

Interventions au Sénat

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