top of page

Claude Malhuret : Accord de sécurité franco-ukrainien et situation en Ukraine

13 mars 2024

Déclaration du Gouvernement, suivie d’un débat et d'un vote sur cette déclaration, en application de l’article 50‑1 de la Constitution, relative au débat sur l'accord de sécurité franco-ukrainien et la situation en Ukraine



Monsieur le Président,

Monsieur le Premier Ministre,

Messieurs les Ministres,

Monsieur l'Ambassadeur,

Mes chers Collègues,


Notre débat intervient à un moment crucial de la guerre en Ukraine pour au moins quatre raisons.


L'assassinat d'Alexeï Navalny a fait comprendre aux derniers aveugles que le régime de Poutine n'est pas une démocratie illibérale, une démocrature, un pouvoir autoritaire et tous ces euphémismes mensongers, mais une mafia d'État, une gangrène totalitaire implacable au dedans comme au dehors, avec laquelle toute discussion, toute négociation est d'abord une lourde erreur, ensuite une lâcheté, enfin le doigt dans l'engrenage de la capitulation.


La deuxième raison est que les menaces graves sur la Moldavie et les pays baltes viennent prouver aux plus obtus des idiots utiles qui nous répétaient hier que Poutine n'envahirait pas l'Ukraine et aujourd'hui qu'il n'envahira que l'Ukraine, que l'impérialisme russe ne s'arrêtera pas à Kiev, mais que, comme l'a dit un jour le boucher de Moscou, les frontières de la Russie ne se terminent nulle part.


La troisième raison est que la reprise de l'initiative par les Russes vient démontrer qu'une coalition des États les plus riches du monde n'est pas capable de fournir un stock de munitions égal à celui fourni à l'agresseur par la Corée du Nord et l'Iran. C'est une réalité dont nous devrions avoir honte et qui commence à être enfin comprise par les dirigeants européens.


La quatrième raison est la proximité de l'élection présidentielle aux États-Unis et l'hypothèse plausible de l'arrêt de l'aide américaine. Cette échéance n'inquiétait pas tant qu'elle restait lointaine. Elle force désormais les européens à envisager d'assumer la maîtrise de leur propre destin pour la première fois depuis 1945.


Ces constats me rendent-ils pessimiste ? En aucun cas. D’abord, si nous sommes ici aujourd'hui, c'est parce que les accords bilatéraux tels que celui signé par la France se multiplient. Ils s'accompagnent de réunions, de déclarations, de conférences de presse qui témoignent enfin d'une prise de conscience par les européens de l'Ouest, de l'urgence d'une riposte résolue qui n'était comprise jusqu'à ce jour que par les pays d'Europe de l'Est, en première ligne et déniaisés depuis longtemps.


Les pacifistes, les défaitistes, les collabos, bref les troupes de Poutine en France, comme vous avez eu raison de les qualifier, Monsieur le Premier Ministre, la cinquième colonne de l'extrême droite et de l'extrême gauche, les poutino-péténistes et les poutino-wokistes, ceux qui hier à l'Assemblée ont voté contre ou se sont abstenus, sont évidemment vent debout contre ces accords, comme ils sont déchaînés depuis dix ans pour applaudir à l'annexion de la Crimée, pour refuser l'entrée dans l'OTAN de la Suède et de la Finlande, pour refuser les armes pour l'Ukraine, pour continuer de salir la mémoire de Navalny après sa mort.

 

Ils taxent le Président de va-t-en-guerre, eux qui n'ont jamais employé le mot va-t-en-guerre contre celui qui massacre les ukrainiens avec 500 000 soldats en première ligne, eux qui sont les va-t-en-capitulation. Collabos des allemands avec Pétain, collabos de l'URSS avec le soutien au pacte germano-soviétique, collabos de Poutine aujourd'hui, les partisans de la paix des lâches, qui n'est autre que l'annonce de la servitude.

 

Ils affirment que le Président, je cite "rompt brusquement avec sa politique étrangère en raison de l'approche des élections européennes". Petite invective politicienne. Il a seulement compris que la ligne jusqu'au-boutiste de Poutine n'a jamais changé, qu'elle ne changera pas et qu'elle se durcit chaque jour. Pour ma part, je préfère mille fois le Président qui parle pour la première fois de la défaite nécessaire de la Russie, à celui qui expliquait qu'il ne fallait pas humilier Poutine. Je préfère mille fois le Président qui a compris que l'Occident a eu tort d'abandonner à Poutine la maîtrise de l'escalade car cela revient à lui concéder l'initiative à chaque étape du conflit.

 

J'entends Jordan Selfie, dents blanches haleine fraîche, le Ponce Pilate de la guerre en Ukraine, nous expliquer qu'il faut fixer des "lignes rouges" par lesquelles nous désignerions à l'avance les limites de notre soutien, alors que la Russie, elle, n'en reconnaît aucune. Ce Gamelin du Dniepr prétend être un jour Premier Ministre de la France, je lui suggère une économie considérable pour notre pays endetté : supprimer le budget des Armées et le remplacer par un répondeur téléphonique au Ministère de la Défense qui dirait : "Message à l’armée russe, ne tirez pas, nous nous rendons".

 

Les professionnels de l’agit-prop mentent aux français en leur disant que leurs enfants vont être envoyés sur le front alors que l'armée française est une armée de métier et que le Ministre de la Défense a expliqué que d'éventuelles missions seraient de soutien et de maintenance. Il paraît aussi que nous sommes isolés et l'on reproche à Emmanuel Macron de ne pas s'être assuré au préalable de l'aval de nos alliés sur ses déclarations.

 

Qu'en est-il aujourd'hui ? D'abord l'avis des premiers intéressés, les ukrainiens. Ils se félicitent de la position française. Les polonais, les baltes, les moldaves, les Pays-Bas, le Président tchèque aussi et d'autres le disent. Quant aux États-Unis et au Royaume-Uni, leur humour tout britannique a sans doute échappé au va-t-en-défaite. Biden, vieux routier de la guerre froide, annonce sans sourciller qu'il n'enverra pas d'américains en Ukraine au moment même où le New York Times révèle qu'il y a 14 bases de la CIA dans le pays.

 

Le Premier Ministre anglais annonce lui qu'il ne prévoit pas d'envoyer de nouvelles troupes, je cite, "pour le moment et au-delà de celles qui y sont déjà". Cette phrase se passe d’explications. Il faut ajouter pour les semeurs d'affolement qui n'ont à la bouche que le spectre de l'apocalypse nucléaire, que Poutine le sait parfaitement et que, comme ces précédentes lignes rouges qu'il abandonne chaque fois qu'elles sont franchies, la présence de soldats alliés ne l'a pas incité à appuyer sur le bouton malgré sa 26ème menace de le faire depuis deux ans.

 

Reste Scholz, n'écoutant que son courage, qui ne jure que par la garantie américaine et qui est la cible de tous les partis allemands, même ceux de sa coalition, pour son immobilisme. Je lui donne rendez-vous en novembre prochain, en cas d'élection de Trump, pour une comparaison entre les choix de la France qui appelle depuis des années à une défense européenne, et les siens, lui qui a mis tous ses œufs dans un panier qui aura disparu.

 

Le nombre de ceux qui comprennent que la défaite de l'Ukraine serait, dans la seconde même, notre défaite, ne cesse de croître. La lassitude de nos concitoyens, attisée chaque jour par les appels des panicocrates à la lâcheté, ne les empêche pas d'être toujours largement favorables à la poursuite de l'aide, alors que les traîtres espéraient un lâchage dès l'hiver 2022.

 

Il reste un point essentiel. Passer de la parole aux actes et c'est là que le bât peut blesser. L'économie de guerre évoquée depuis 6 mois par le Président suppose deux conditions : multiplier les commandes d'armement et préparer d'autres sites de production. Ces conditions ne sont pas encore réunies. La part que la France a prise jusqu'à présent dans l'effort de guerre est conséquente, mais en comparaison d'autres pays par rapport à leur PIB, elle n'est pas encore suffisante. Et j'espère que cet accord lui permettra de l'être rapidement.

 

Le discours poutinien, il ne faut pas s'y tromper, évolue exactement comme le discours hitlérien des années 1930, même si certains aujourd'hui tentent de nier la comparaison. Dans un premier temps, prétendre que le pays a été humilié dans le règlement de la guerre froide, c'est la réplique du mythe du coup de poignard dans le dos allemand. Nous n'avons pas été vaincus mais trahis par nos propres politiciens.

 

Puis, prétendre que la Russie doit montrer les poings pour que le pays retrouve son rang dans le monde et enfin considérer, comme Hitler avec les Allemands des Sudètes et de la Pologne, que partout où il y a des minorités russophones, la Russie est chez elle. Cette propagande a été relayée à chacune de ces inflexions par des complices conscients ou inconscients chez nous.

 

Aujourd'hui, au fameux éditorial de Déat "Faut-il mourir pour Dantzig" en 1939, répond en écho le "nous ne voulons pas mourir pour le Donbass". En réponse à cet étalage indécent, de lâcheté, je voudrais citer Raymond Aron, qui disait en 1939, également : "Je crois à la victoire des démocraties, mais à une condition, c'est qu'elles le veuillent." Cette phrase n'a jamais été autant d'actualité.

Interventions au Sénat

bottom of page