4 mars 2025
Déclaration du Gouvernement, suivie d’un débat, en application de l'article 50-1 de la Constitution, portant sur la situation en Ukraine et la sécurité en Europe
Monsieur le Président,
Monsieur le Premier ministre
Mesdames et Messieurs les Ministres,
Mes chers Collègues,
L'Europe est à un tournant critique de son histoire. Le bouclier américain se dérobe, l'Ukraine risque d'être abandonnée, la Russie renforcée.
Washington est devenu la cour de Néron, un empereur incendiaire, des courtisans soumis et un bouffon sous kétamine chargé de l'épuration de la fonction publique.
C'est un drame pour le monde libre, mais c'est d'abord un drame pour les États-Unis. Le message de Trump est que rien ne sert d'être son allié puisqu'il ne vous défendra pas, qu'il vous imposera plus de droits de douane qu'à ses ennemis et vous menacera de s'emparer de vos territoires tout en soutenant les dictatures qui vous envahissent.
Le roi du deal est en train de montrer ce qu'est l'art du deal à plat ventre. Il pense qu'il va intimider la Chine en se couchant devant Poutine, mais Xi Jinping, devant un tel naufrage, est sans doute en train d'accélérer les préparatifs de l'invasion de Taïwan.
Jamais dans l'histoire un président des États-Unis n'a capitulé devant l'ennemi. Jamais aucun n'a soutenu un agresseur contre un allié. Jamais aucun n'a piétiné la Constitution américaine, pris autant de décrets illégaux, révoqué les juges qui pourraient l'en empêcher, limogé d'un coup l'état-major militaire, affaibli tous les contre-pouvoirs et pris le contrôle des réseaux sociaux.
Ce n'est pas une dérive illibérale, c'est un début de confiscation de la démocratie. Rappelons-nous qu'il n'a fallu qu'un mois, trois semaines et deux jours pour mettre à bas la République de Weimar et sa Constitution.
J'ai confiance dans la solidité de la démocratie américaine et le pays proteste déjà. Mais en un mois, Trump a fait plus de mal à l'Amérique qu'en quatre ans de sa dernière présidence. Nous étions en guerre contre un dictateur, nous nous battons désormais contre un dictateur soutenu par un traître.
Il y a huit jours, au moment même où Trump passait la main dans le dos de Macron à la Maison-Blanche, les États-Unis votaient à l'ONU avec la Russie et la Corée du Nord contre les Européens réclamant le départ des troupes russes.
Deux jours plus tard, dans le bureau ovale, le planqué du service militaire donnait des leçons de morale et de stratégie au héros de guerre Zelensky avant de le congédier comme un palefrenier en lui ordonnant de se soumettre ou de se démettre.
Cette nuit, il a franchi un pas de plus dans l'infamie en stoppant la livraison d'armes pourtant promise. Que faire devant cette trahison ? La réponse est simple : faire face.
Et d'abord ne pas se tromper. La défaite de l'Ukraine serait la défaite de l'Europe. Les Pays-Baltes, la Géorgie, la Moldavie sont déjà sur la liste. Le but de Poutine est le retour à Yalta où fut cédée la moitié du continent à Staline.
Les pays du Sud attendent l'issue du conflit pour décider s'ils doivent continuer à respecter l'Europe ou s'ils sont désormais libres de la piétiner.
Ce que veut Poutine, c'est la fin de l'ordre mis en place par les États-Unis et leurs alliés il y a 80 ans, avec comme premier principe l'interdiction d'acquérir des territoires par la force.
Cette idée est à la source même de l'ONU, où aujourd'hui les Américains votent en faveur de l'agresseur et contre l'agressé, parce que la vision trumpienne coïncide avec celle de Poutine : un retour aux sphères d'influence, les grandes puissances dictant le sort des petits pays.
À moi le Groenland, le Panama et le Canada, à toi l'Ukraine, les Pays-Baltes et l'Europe de l'Est, à lui Taïwan et la mer de Chine.
On appelle cela, dans les soirées des oligarques du golfe de Mar-a-Lago, le "réalisme diplomatique".
Nous sommes donc seuls. Mais le discours selon lequel on ne peut résister à Poutine est faux. Contrairement à la propagande du Kremlin, la Russie va mal. En trois ans, la soi-disant deuxième armée du monde n'a réussi à grappiller que des miettes d'un pays trois fois moins peuplé.
Les taux d'intérêt à 25 %, l'effondrement des réserves de devises et d'or, l'écroulement démographique montrent qu'elle est au bord du gouffre. Le coup de pouce américain à Poutine est la plus grande erreur stratégique jamais commise lors d'une guerre.
Le choc est violent, mais il a une vertu. Les Européens sortent du déni. Ils ont compris en un jour à Munich que la survie de l'Ukraine et l'avenir de l'Europe sont entre leurs mains et qu'ils ont trois impératifs.
Accélérer l'aide militaire à l'Ukraine pour compenser le lâchage américain, pour qu'elle tienne, et bien sûr pour imposer sa présence et celle de l'Europe dans toute négociation.
Cela coûtera cher. Il faudra en terminer avec le tabou de l'utilisation des avoirs russes gelés. Il faudra contourner les complices de Moscou à l'intérieur même de l'Europe par une coalition des seuls pays volontaires, avec bien sûr le Royaume-Uni.
En second lieu, exiger que tout accord soit accompagné du retour des enfants kidnappés, des prisonniers et de garanties de sécurité absolues. Après Budapest, la Géorgie et Minsk, nous savons ce que valent les accords avec Poutine. Ces garanties passent par une force militaire suffisante pour empêcher une nouvelle invasion.
Enfin, et c'est le plus urgent, parce que c'est ce qui prendra le plus de temps, il faudrait bâtir la défense européenne négligée, au profit du parapluie américain depuis 1945 et sabordée depuis la chute du mur de Berlin.
C'est une tâche herculéenne, mais c'est sur sa réussite ou son échec que seront jugés dans les livres d'Histoire les dirigeants de l'Europe démocratique d'aujourd'hui.
Friedrich Merz vient de déclarer que l'Europe a besoin de sa propre alliance militaire. C'est reconnaître que la France avait raison depuis des décennies en plaidant pour une autonomie stratégique.
Il reste à la construire. Il faudra investir massivement, renforcer le Fonds européen de défense hors des critères d'endettement de Maastricht, harmoniser les systèmes d'armes et de munitions, accélérer l'entrée dans l'Union de l'Ukraine, qui est aujourd'hui la première armée européenne, repenser la place et les conditions de la dissuasion nucléaire à partir des capacités françaises et britanniques, relancer les programmes de boucliers antimissiles et de satellites.
Le plan annoncé hier par Ursula von der Leyen est un très bon point de départ. Et il faudra beaucoup plus.
L'Europe ne redeviendra une puissance militaire qu'en redevenant une puissance industrielle. En un mot, il faudra appliquer le rapport Draghi. Pour de bon.
Mais le vrai réarmement de l'Europe, c'est son réarmement moral.
Nous devons convaincre l'opinion face à la lassitude et à la peur de la guerre, et surtout face aux comparses de Poutine, l'extrême droite et l'extrême gauche.
Ils ont encore plaidé hier à l'Assemblée nationale, Monsieur le Premier ministre, devant vous, contre l'unité européenne, contre la défense européenne.
Ils disent vouloir la paix. Ce que ni eux ni Trump ne disent, c'est que leur paix, c'est la capitulation, la paix de la défaite, le remplacement de de Gaulle Zelensky par un Pétain ukrainien à la botte de Poutine.
La paix des collabos qui ont refusé depuis trois ans toute aide aux Ukrainiens.
Est-ce la fin de l'Alliance Atlantique ? Le risque est grand. Mais depuis quelques jours, l'humiliation publique de Zelensky et toutes les décisions folles prises depuis un mois ont fini par faire réagir les Américains.
Les sondages sont en chute. Les élus républicains sont accueillis par des foules hostiles dans leurs circonscriptions. Même Fox News devient critique.
Les Trumpistes ne sont plus en majesté. Ils contrôlent l'exécutif, le Parlement, la Cour suprême et les réseaux sociaux.
Mais dans l'histoire américaine, les partisans de la liberté l'ont toujours emporté. Ils commencent à relever la tête.
Le sort de l'Ukraine se joue dans les tranchées, mais il dépend aussi de ceux qui, aux États-Unis, veulent défendre la démocratie, et ici de notre capacité à unir les Européens, à trouver les moyens de leur défense commune, et à refaire de l'Europe la puissance qu'elle fut un jour dans l'histoire et qu'elle hésite à redevenir.
Nos parents ont vaincu le fascisme et le communisme au prix de tous les sacrifices.
La tâche de notre génération est de vaincre les totalitarismes du XXIe siècle.
Vive l'Ukraine libre, vive l'Europe démocratique.
English translation :
Europe is at a critical juncture of its history. The American shield is slipping away, Ukraine risks being abandoned, and Russia is being strengthened. Washington has become the court of Nero: An incendiary emperor, submissive courtiers, and a buffoon on ketamine tasked with purging the civil service.
This is a tragedy for the free world, but it’s first and foremost a tragedy for the United States. Trump’s message is that being his ally serves no purpose, because he will not defend you, he will impose more tariffs on you than on his enemies, and he will threaten to seize your territories, while supporting the dictators who invade you.
The king of the deal is showing what the art of the deal is lying prostrate. He thinks he will intimidate China by capitulating to Russian President Vladimir Putin, but China’s President Xi Jinping, faced with such wreckage, is undoubtedly accelerating his plans to invade Taiwan.
Never in history has a president of the United States surrendered to the enemy. Never has one supported an aggressor against an ally, issued so many illegal decrees, and sacked so many military leaders in one go. Never has one trampled on the American Constitution, while threatening to disregard judges who stand in his way, weaken countervailing powers, and take control of social media.
This is not a drift to illiberalism; this is the beginning of the seizure of democracy. Let us remember that it only took one month, three weeks, and two days to bring down the Weimar Republic and its constitution.
I have confidence in the solidity of American democracy, and the country is already protesting. But in one month, Trump has done more harm to America than in four years of his last presidency. We were at war with a dictator; now we are fighting against a dictator supported by a traitor.
Eight days ago, at the very moment when Trump was patting French President Emmanuel Macron on the back at the White House, the United States voted at the UN with Russia and North Korea against the Europeans demanding the withdrawal of Russian troops.
Two days later, in the Oval Office, the draft-dodger was giving moral and strategic lessons to the Ukrainian president and war hero Volodymyr Zelensky before dismissing him like a stable boy, ordering him to submit or resign.
That night, he took another step into disgrace by halting the delivery of promised weapons. What should we do in the face of such betrayal? The answer is simple: Stand firm.
And above all, make no mistake. The defeat of Ukraine would be the defeat of Europe. The Baltic states, Georgia, and Moldova are already on the list. Putin's goal is to return to the Yalta Agreement, where half the continent was ceded to Stalin.
The countries of the Global South are waiting for the outcome of the conflict to decide whether they should continue to respect Europe, or whether they are now free to trample it.
What Putin wants is the end of the world order the United States and its allies established 80 years ago, in which the first principle was the prohibition of acquiring territory by force.
This idea is at the very foundation of the UN, where today Americans vote in favor of the aggressor and against the aggressed, because the Trumpian vision coincides with Putin's: a return to spheres of influence, where great powers dictate the fate of small nations.
Greenland, Panama, and Canada are mine. Ukraine, the Baltics and Eastern Europe are yours. Taiwan and the South China Sea are his.
At the Mar-a-Lago dinner parties of golf-playing oligarchs, this is called “diplomatic realism.”
We are therefore alone. But the narrative that Putin cannot be resisted is false. Contrary to Kremlin propaganda, Russia is doing poorly. In three years, the so-called second army in the world has managed to grab only crumbs from a country with about a quarter its population.
With interest rates at 21percent, the collapse of foreign currency and gold reserves, and a demographic crisis, Russia is on the brink. The American lifeline to Putin is the biggest strategic mistake ever made during a war.
The shock is violent, but it has one virtue. The Europeans are coming out of denial. They understood in a single day in Munich that the survival of Ukraine and the future of Europe are in their hands, and that they have three imperatives.
Accelerate military aid to Ukraine to compensate for the American abandonment, so that Ukraine can hang on, and of course to secure its and Europe’s place at the negotiating table.
This will be costly. It will require ending the taboo on using Russia’s frozen assets. It will require bypassing Moscow's accomplices within Europe itself through a coalition that includes only willing countries, and the United Kingdom of course.
Second, demand that any agreement include the return of kidnapped children and prisoners, as well as absolute security guarantees. After Budapest, Georgia, and Minsk, we know what Putin’s agreements are worth. These guarantees require sufficient military force to prevent a new invasion.
Finally, and most urgently because it will take the longest, we must build that neglected European defense, which has relied on the American security umbrella since 1945 and which was shut down after the fall of the Berlin Wall. The task is Herculean, but history books will judge the leaders of today's democratic Europe by its success or failure.
Friedrich Merz has just declared that Europe needs its own military alliance. This is a recognition that France has been right for decades in advocating for strategic autonomy.
Now, it must be built. This will require massive investment to replenish the European Defense Fund beyond the Maastricht debt criteria, harmonize weapons and munitions systems, accelerate EU membership for Ukraine, which now has the leading army in Europe, rethink the role and conditions of nuclear deterrence based on French and British capabilities, and relaunch missile shield and satellite programs.
Europe can become a military power again only by becoming an industrial power again. But the real rearmament of Europe is its moral rearmament.
We must convince public opinion in the face of war weariness and fear, and above all in the face of Putin's collaborators on the far right and far left.
They say they want peace. What neither they nor Trump say is that their peace is capitulation, the peace of defeat, the replacement of a de Gaullian Zelensky by a Ukrainian Pétain under Putin’s thumb.The peace of collaborators who for three years, have refused to support the Ukrainians in any way.
Is this the end of the Atlantic alliance? The risk is great. But in recent days, Zelensky’s public humiliation, and all the crazy decisions taken over the last month, have finally stirred Americans into action. Poll numbers are plummeting. Republican elected officials are greeted by hostile crowds in their constituencies. Even Fox News is becoming critical.
The Trumpists are no longer at the height of glory. They control the executive branch, Congress, the Supreme Court and social media. But in American history, the supporters of freedom have always won. They are starting to raise their heads.
The fate of Ukraine will be decided in the trenches, but it also depends on those who defend democracy in the United States, and here, on our ability to unite Europeans and find the means for our common defense, to make Europe the power it once was and hesitates to become again.
Our parents defeated fascism and communism at the cost of great sacrifice. The task of our generation is to defeat the totalitarianisms of the 21st century. Long live free Ukraine, long live democratic Europe.