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Jean-Louis LAGOURGUE : PPL Interdiction de vente des drapeaux des associations d'anciens combattants

04 avril 2019


Proposition de loi relative à l'interdiction de la vente des drapeaux des associations d'anciens combattants et à leur protection

« Ils étaient vingt et trois quand les fusils fleurirent /

Vingt et trois qui donnaient leur cœur avant le temps /

Vingt et trois étrangers et nos frères pourtant /

Vingt et trois amoureux de vivre à en mourir /

Vingt et trois qui criaient la France en s’abattant. »

Monsieur le Président,

Madame la Ministre,

Madame la Rapporteure,

Mes Chers collègues,

Ces strophes pour se souvenir de Louis Aragon célèbrent la mémoire des résistants du groupe Manouchian, principale force d’opposition directe aux Allemands en région parisienne, des partisans dotés d’un courage sans faille, qui furent fusillés le 21 février 1944 au Mont-Valérien. Alors que le dernier de ses membres s’est éteint en 2018, le devoir de mémoire, les 35 000 monuments aux morts et ces quelques vers restent les derniers remparts contre l’oubli des « grands anciens », ces morts pour la patrie qui ont sacrifié leur vie pour rendre la nôtre possible.

La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui vise à protéger les drapeaux des associations d’anciens combattants en présumant ces associations propriétaires de ces reliques. Elle prévoit également le transfert des drapeaux, en cas de dissolution ou sur décision de l’assemblée générale, à la commune compétente, chargée de relayer, auprès d’autres associations actives ou d’établissements scolaires, le devoir de mémoire des anciens combattants. Enfin, une association d’anciens combattants, une fédération ou la commune pourra obtenir gratuitement la restitution d’un drapeau détenu par un particulier. Nous soutenons pleinement cette initiative et saluons le travail de la sénatrice Françoise Férat.

Le réseau d’associations dont il est question s’est structuré dès l’année 1915, pour faire reconnaître les droits matériels et moraux des anciens combattants, des mutilés, des « gueules cassées », des démobilisés de la Grande Guerre. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, plus de 10 000 associations d’anciens combattants étaient actives sur le sol national.

Chacune d’entre elles possède ses propres symboles, son drapeau tricolore chargé d’histoire et brodé de lettres d’or. Elles regroupent les anciens combattants des deux guerres mondiales, des guerres du Golfe, d’Algérie, de Yougoslavie, d’Afghanistan, et participent au devoir de mémoire reliant passé et présent. Permettre à des générations de Français de mieux comprendre l’histoire de la France, d’en mesurer les sacrifices, de s’imprégner des valeurs républicaines pour éclairer leur avenir, leurs choix, leurs engagements : tels sont les enjeux du devoir de mémoire, que Simone Veil proposait de remplacer par un devoir d’histoire, en articulant souvenir et transmission.

« La patrie ne s’apprend pas par cœur, elle s’apprend par le cœur », disait Lavisse. Elle s’apprend par la résonance à travers les siècles de ces noms d’hommes et de femmes qui se sont engagés pour défendre la vie, la liberté, l’avenir de la France. Ces noms, trop souvent, tombent dans l’oubli. Qui se souvient de Jeannette Guyot ? À 20 ans, elle traversait les bois et les champs dans la nuit silencieuse, suivie d’enfants, d’hommes et de femmes, les emmenant loin de la terreur. Jeannette Guyot, parachutée en bord de Loire pour repérer les zones de largage en vue du débarquement. Jeannette Guyot, ouvrant une antenne de radio clandestine à Paris, dans un tabac, à deux pas d’un bureau de la Gestapo… Seul un article d’un journal britannique annonça sa mort, le 10 avril 2016, mais pas un mot en France ne fut prononcé dans la presse, à la radio, sur les réseaux, pour lui rendre hommage.

Comprendre le passé, le regarder avec lucidité pour en saluer les grandes heures, sans renier les heures sombres, sont les conditions indispensables pour bâtir sur l’exemple. En honorant la mémoire des héros de la Nation, la commémoration anime un lien qui libère, érige un signe de concorde entre les générations. Il est bien sûr du devoir de l’État, de la puissance publique en général, de maintenir cette mémoire vive, à l’image de la flamme du souvenir toujours entretenue, veillant nuit et jour la tombe du Soldat inconnu, sous l’Arc de Triomphe.

À l’heure où les symboles de la mère patrie sont tagués, dévastés, pris d’assaut par des casseurs bêlants ; à l’heure où le poison rampant de l’extrémisme se répand à travers une Europe fragilisée ; où le communautarisme divise la France en son cœur, il nous faut veiller à maintenir vivants les souvenirs de notre histoire commune, à replacer les symboles de la République au centre de nos villes, de nos villages, dans nos écoles et nos mairies. Chers collègues, les drapeaux des associations d’anciens combattants sont des symboles dont nous avons la responsabilité. Il en va à la fois de notre héritage et de notre liberté de destin, tant il est vrai, comme l’affirme René Char dans Les Feuillets d’Hypnos, que « notre héritage n’est précédé d’aucun testament ».


Interventions au Sénat

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