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Joël GUERRIAU : PPR Engagement pour initiatives concertées pour stopper l'offensive Turque en Syrie

22 octobre 2019


Proposition de résolution tendant à l'engagement résolu de la France en faveur de toute initiative concertée au niveau européen ou international visant à mettre un terme à l'offensive militaire menée par la Turquie au nord-est de la Syrie

Monsieur le Président,

Mes chers collègues,

La Turquie a lancé le 9 octobre dernier l’opération « Source de Paix » dans le Kurdistan syrien. Ankara dit vouloir protéger sa frontière contre les terroristes.

Pourquoi un pays ami, membre de la coalition internationale contre Daesch, également membre de l’OTAN, engage un conflit armé de manière unilatérale ? Sans le moindre accord officiel avec ses alliés ... Les motifs de l’opération ne sont peut-être pas encore tous connus.

Ces dernières années, nous avons vu le comportement d’Ankara changer. Alors que le pays est membre de l’OTAN et candidat à l’Union Européenne, son dirigeant a déclaré dans un discours hier : « Tout l’occident s’est rangé aux côtés des terroristes et ils nous ont attaqué tous ensemble. Parmi eux les pays de l’OTAN, les pays de l’Union européenne. Tous. ». Ce n’est pas parce qu’un djihadiste est français que tous les français sont des terroristes, il en est de même des kurdes.

Cette insertion dans une région kurde en Syrie, risque de tourner au massacre. Une enquête de l’Office pour l’Interdiction des Armes Chimiques a été ouverte vendredi dernier : du phosphore blanc aurait été utilisé contre les Kurdes.

Cette offensive est injustifiable parce qu’elle a lieu contre des alliés dans la lutte contre Daesh. Les occidentaux ont déployé des forces aériennes et des unités des Forces Spéciales, dont nous saluons l’engagement et le courage. Les Kurdes, soutenus par nos soldats, se sont courageusement battus contre Daesch et ont largement contribué à sa défaite territoriale.

Bien sûr, les Kurdes se sont battus pour leur survie, comme l’a cyniquement rappelé le Président Trump. Ils se sont battus aussi pour la survie de ceux qu’ils auraient pu abandonner comme d’autres l’ont fait. Lorsqu’en 2014, 50 000 Yazidis étaient piégés sur le mont Sinjar, dont plusieurs milliers furent massacrés, convertis de force et réduits à l’esclavage par les djhadistes ; ce sont les forces Kurdes qui permirent leur évacuation.

Les Kurdes se sont battus pour leur survie, certes, mais nous savons aussi ce que la sécurité de notre pays doit à leur engagement.

Le refus de poursuivre le cessez-le-feu nous laisse présager du pire. L’offensive est injustifiable parce qu’elle a lieu contre ceux que la Turquie a déjà abandonné sous les coups des djihadistes. Il faut se rappeler de la fin de l’année 2014. Daesh assiégeait alors la ville kurde de Kobané, qui se trouve à la frontière entre la Syrie et la Turquie.

Durant le premier mois, la Turquie, pourtant membre de la coalition internationale engagée dans la lutte contre Daesh, n’avait pas agi. Pire, elle avait fermé sa frontière et empêché les forces kurdes de recevoir des secours, des renforts ou des armes. A cette époque déjà, la Turquie avait tenté d’obtenir, en échange de l’ouverture de sa frontière, la création d’une zone tampon large de 20 kilomètres le long de sa frontière syrienne. L’offensive actuelle porte le même objectif en augmentant cette zone tampon à 30 kilomètres.

Rojava, le Kurdistan syrien tenu par le YéPéGué inquiète la Turquie qui y voit une base arrière du PKK. Ce dernier mène une lutte armée contre Ankara depuis 40 ans. Le PKK a usé de méthodes terroristes dans son combat : c’est inadmissible. La situation du Kurdistan syrien est complexe, de nombreux acteurs sont présents. La solution ne pourra être que politique.

Le principe de l’intangibilité des frontières n’est pas un principe absurde mais celui de l’autodétermination des peuples non plus. Le Kurdistan c’est 40 à 50 millions de personnes réparties entre 4 pays. Pour rappel, la Syrie compte 20 millions d’habitants, et l’Irak 40 millions.

Contre le régime de Saddam Hussein en 2003, contre Daesh au Levant, et, n’en déplaise aux « fake news », y compris durant la Seconde Guerre Mondiale : les Kurdes ont maintes fois prouvé qu’ils étaient des alliés efficaces, fiables et loyaux.

Nous ne souhaitons pas voir la Turquie s’éloigner de ses alliés.

De même, nous ne souhaitons pas voir les États-Unis s’éloigner des leurs. Le volte-face américain est très surprenant. C’est un déchirement pour les militaires de lâcher les troupes kurdes aux côtés desquelles elles ont combattu. Le retrait américain entraîne celui des occidentaux, faute de moyens. Voilà encore la preuve qu’il est urgent, pour l’Europe, d’atteindre l’autonomie stratégique.

L’Union prend conscience qu’elle doit affronter cette situation sans l’appui des États-Unis, puisque Donald Trump poursuit la stratégie initiée sous Barack Obama : le désengagement américain du Moyen Orient.

L’Union européenne est aujourd’hui face à ses erreurs. Au premier rang desquelles la sous-traitance. Sans trouver de solution pour ses ressortissants djihadistes, elle a sous-traité leur traitement judiciaire. Elle devient ainsi l’otage de ceux qui les détiennent et qui peuvent faire le chantage de leur libération ou de leur expulsion. Une erreur que ni les Russes ni les Américains n’ont commis, puisque - eux - ont rapatrié leurs ressortissants djihadistes.

Pour ne pas gérer elle-même ses frontières, elle a sous-traité le contrôle des réfugiés à la Turquie. Ankara fait logiquement du chantage pour obtenir ce qu’elle veut de l’Europe.

L’Europe, par l’absence de courage et de volonté politique, se retrouve maintenant otage d’acteurs qui ont assumé pour elle une part de sa responsabilité.

Ce n’est pas la première fois que les Européens se condamnent à l’impuissance. Lors de la crise géorgienne, celle de l’Ukraine, des attaques chimiques en Syrie, l’accord sur le nucléaire iranien, l’Europe n’a pas su montrer sa puissance… La cause en est toujours la désunion. La crise actuelle ne fait pas exception, les européens sont profondément divisés : la Hongrie ayant apporté son soutien à Erdogan.

Ce n’est pas la première fois non plus que les Kurdes sont abandonnés à leur sort.

L’Europe a aujourd’hui l’occasion de défendre ses valeurs et ses intérêts en même temps que son honneur.

La revue stratégique avait mis en évidence l’instabilité et l’insécurité qui caractérisent notre XXIème siècle. Nous y sommes dans bien des domaines.

Après avoir refusé la proposition du Président Macron de prolonger le cessez-le-feu, le Président Erdogan a annoncé aujourd’hui que l'offensive reprendra "avec une plus grande détermination". Si l’Europe n’assume pas ses responsabilités, elle finira par tourner le dos à l’histoire de l’humanité qui s’écrira sans elle.

Seul le prononcé fait foi


Interventions au Sénat

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