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Claude MALHURET : Déclaration de politique générale du Premier Ministre Gabriel Attal

31 janvier 2024

Déclaration du Gouvernement, suivie d'un débat, en application de l'article 50-1 de la Constitution



Monsieur le Premier Ministre,


Comme tout chef de gouvernement vous allez affronter de nombreux défis politiques, et le premier, bien sûr, est l’absence de majorité parlementaire qui n’a permis jusqu’à ce jour que des palliatifs imparfaits, négociations épuisantes ou 49-3 au goût amer. Le second défi est la pression permanente et déprimante des extrêmes.


La France échappe encore à la vague de populisme qui frappe les démocraties, parce que si ailleurs le populisme n’est que d’extrême droite, chez nous où l’on apprend dès l’école qu’il faut préférer Robespierre à Tocqueville, il est coupé en deux.


La fin de cette exception est proche. Parce qu’il faisait le plus de bruit, parce qu’il avait réussi à embrigader une gauche en perdition, parce qu’il transformait l’Assemblée en zone à délirer, le danger d’extrême gauche paraissait le plus dangereux, exacerbé par une caisse de résonnance médiatique qui confirme que rien n’est plus sonore que ce qui est creux.


Mais la NUPES, attelage improbable de la gauche woke, de la gauche vélib, de la gauche caviar, de la gauche stalinienne, de la gauche trotskiste et de la gauche hamas, s’est effondrée sous le poids de ses incohérences. Le Che Guevara des calanques, en cédant la direction des insoumis et la présidence du groupe parlementaire à des comparses, choisis tous deux non pas malgré, mais en raison de leurs insuffisances, a compris tardivement qu’il avait pris le train dans la mauvaise direction. Il court depuis en sens inverse dans le couloir, à grands gestes des bras et du menton, lançant ses imprécations aux alliés comme aux ennemis, mais ne parvenant qu’à démontrer que sa vie est devenue une interminable rage de dents.


LFI c’était une surprise-party. La surprise c’est qu’il n’y avait pas de parti. Pas de statuts, pas de vote, pas d’élections, juste une secte gérée par un couple omnipotent comme les Thénardier tenaient le bouge de Montfermeil. Le mouvement s’est fait hara-kiri le 7 octobre avec l’ignominie de trop, le refus de condamner le massacre du Hamas qualifié de mouvement de résistance.

Les partenaires enrôlés dans cette pantalonnade en ont profité pour filer à l’anglaise après que tout le monde a dessaoulé. Ils resteront ceux qui ont bradé à un apprenti dictateur les valeurs de la gauche qu’ils ont fracturée pour un plat de lentilles électoral.


Cet échec n’est pas qu’une bonne nouvelle. Le danger s’est déplacé dans une extrême droite qui se renforce en proportion du déclin de son rival, porosité qui prouve que ce qui les rapproche est infiniment plus fort que ce qui les sépare. Comme Orban est devenu l’ami de Poutine, comme l’extrême gauche italienne vote pour Meloni, le RN fait ses meilleurs scores aussi bien dans les anciens bastions du PC que dans ceux de la droite.


Les gauchistes sont bruyants, débraillés et réclament tout, tout de suite. Les marinistes sont silencieux, cravatés et attendent leur heure. Ils savent que face aux insoumis il suffit de se taire pour paraître intelligent. Ils n’ont aucun programme. Ils affichent des convictions absolues, mais ils n’ont aucun problème pour en changer si elles ne vous plaisent pas, comme sur la sortie de l’Euro ou le Frexit. Ils affirment que nous dansons sur le pont du Titanic, mais c’est eux l’iceberg. Ils ont enfourché tous les délires complotistes, ils ont été antivax, VRP de l’hydroxychloroquine. Ils font aujourd’hui le sale boulot de chiens de garde de Poutine, et ils le font salement, ce qui n’est pas étonnant dans ce parti fondé largement par d’anciens collabos. Ils dénoncent la corruption mais leurs parlementaires européens sont mis en examen pour avoir détourné des millions d’euros. Ce parti opaque est une sorte de traboule, ces arrière-cours obscures des immeubles lyonnais à la façade bien propre. Les anciens du GUD sont toujours là, dans l’ombre. Les comptes racistes anonymisés sur les réseaux sociaux aussi. Enfin les deux campagnes présidentielles de Marine Poutine, arrivée à son poste comme Kim Jong Un, par népotisme, ont fourni la preuve de sa parfaite inaptitude à la fonction.


Et pourtant le reflux du populisme d’extrême gauche lui ouvre un boulevard. La photo en 2027 d’un Emmanuel Macron raccompagné par elle sur le perron de l’Elysée comme Obama avait cédé sa place à Trump, n’est plus invraisemblable.


La fonction que vous exercez aujourd’hui, Monsieur le Premier Ministre, vous a été confiée aussi pour faire obstacle à cette hypothèse lugubre. A cela il y a deux conditions.


La première est de réussir les douze travaux d’Hercule qui vous attendent dans un pays taraudé depuis toujours, c’est sa grande faiblesse, par le doute, la hantise du déclin et le pessimisme. Relever le niveau de l’école, guérir le système de santé, redonner l’espoir aux agriculteurs, poursuivre la baisse du chômage, réindustrialiser le pays, réduire le déficit, construire l’Europe-puissance, réformer l’Etat, restaurer l’autorité au sein de la société, maîtriser l’immigration, assurer le développement durable à la française. Je n’insiste pas, vous-même et tous les orateurs précédents avez détaillé ce constat. La tâche est immense.


Je n’ai énuméré que 11 travaux. Le douzième est capital, mais le moins compris. Le Chef de l’Etat a évoqué le réarmement moral, économique, civique. Il reste le réarmement au sens propre. Nous sommes en guerre. C’est une très mauvaise idée européenne d’affirmer chaque jour qu’on ne veut pas la guerre, qu’on n’est pas en guerre, lorsque vos ennemis le sont. L’internationale des dictateurs ne s’en cache pas. Russie, Chine, Iran, Corée du Nord proclament qu’ils veulent abattre l’OTAN, l’Europe et l’Occident. Et ils font ce qu’ils disent. La guerre en Ukraine se voit à cause des tanks et des missiles. Celle qu’ils nous livrent, cyberattaques, désinformation, milliers de comptes sur les réseaux anti-sociaux pour fausser les élections, abrutissement de nos enfants sur TikTok pendant que la Chine protège les siens, est tout aussi violente. Elle mine nos démocraties de l’intérieur. La Russie s’est mise en économie de guerre. Notre Président parle d’économie de guerre, mais aucun pays d’Europe n’est capable, deux ans après le 24 février de livrer à l’Ukraine ne serait-ce que les munitions promises. Si l’Ukraine perd la guerre, c’est l’Europe qui la perd. Par peur d’annoncer les mauvaises nouvelles, les gouvernements démocratiques ne préparent pas leurs opinions publiques à cette réalité. Lorsque j’écoute certains d’entre eux, j’ai l’impression d’entendre le toc-toc du parapluie de Daladier sur les pavés de Munich. Monsieur le Premier Ministre, vous serez certes jugé sur vos résultats dans notre pays. Mais à l’échelle de l’histoire, votre gouvernement et tous les gouvernements d’Europe seront jugés à l’aune de la victoire ou de la défaite des démocraties face à l’internationale reconstituée des dictateurs.


La deuxième condition pour qu’en 2027, au soir de l’élection présidentielle, le visage qui paraît sur nos écrans à 20 heures ne soit pas celui qui, comme ceux de Trump, d’Orban ou de Bolsonaro, nous fasse honte, ne dépend pas seulement de vous. Il est grand temps que ceux qui se revendiquent du camp de la raison comprennent que le temps leur est compté. S’ils ne sont pas capables de s’unir face à des extrêmes qui nagent comme des poissons dans l’eau des réseaux anti-sociaux, des fakes news et de l’injure, il ne faudra pas qu’ils se plaignent d’une défaite qu’ils n’auront su empêcher.


Il est temps que les raisonnables se rassemblent, qu’ils construisent une majorité ou des alliances seule façon de gouverner la France avec succès. Ce souhait sera peut-être aujourd’hui considéré avec indifférence ou avec ironie. Mais dans quelques mois, lorsque s’affichera le résultat des élections européennes, ceux qui, dans la majorité comme dans les oppositions républicaines, se complaisent dans des querelles de cour d’école, comprendront je l’espère que le temps des anathèmes est terminé. Le général Mac Arthur disait que les batailles perdues se résument en deux mots : trop tard.


Réfléchissons à cette phrase tant qu’il est encore temps.

 

Je vous remercie.


Interventions au Sénat

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