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GUERRIAU - DECOOL - CHASSEING : Emplois non pourvus en France : quelles réponses ? quelles actions ?

Débat "Emplois non pourvus en France : quelles réponses ? quelles actions ?" (ORDRE DU JOUR RÉSERVÉ À NOTRE GROUPE)


Joël GUERRIAU - Introduction du débat à la tribune

Monsieur le président,

Madame la ministre,

Mes chers collègues,

Chaque année, des centaines de milliers d’offres d’emploi ne trouvent pas preneur. À l’heure où le taux de chômage en France est de 9,3 % alors qu’il n’est que de 2,3 % en République tchèque et de 3,4 % en Allemagne et en Pologne, nous pouvons légitiment nous interroger, d’autant que le taux de chômage a baissé dans tous les États membres pour atteindre 6,6 % en moyenne dans la zone euro alors qu’il stagne en France.

Nous avons tous en mémoire une phrase qui a fait le buzz « traverser la rue pour trouver du travail ». Derrière cette phrase devenue célèbre se cache une réalité à nuancer.


En 2017, Pôle emploi a publié une étude sur les fameux emplois non pourvus. Ces offres restées sans réponse ne le sont pas forcément faute de « gens prêts à travailler ». Sur les 300 000 offres, 97 000 d’entre elles ont été annulées par les recruteurs eux-mêmes et 53 000 concernaient des offres toujours en cours. Et si 150 000 recrutements restants ont été abandonnés faute de candidat, surtout faute de profils adéquats, selon cette étude 19 500 offres d’emploi n’ont fait l’objet d’aucune candidature.


Enfin, quand on sait que les employeurs ont transmis en 2017 près de 24 millions de déclarations d’embauche, le nombre d’emplois non pourvus prend à cet égard une importance relative.

Néanmoins, cette absence de candidatures pose la question de l’inadéquation entre l’offre et la demande. Il existe des secteurs qui peinent à recruter et qui en souffrent.


Les candidatures sont inadaptées, les entreprises déplorent le manque de compétences, de connaissances techniques, d’expérience professionnelle ou l’absence d’un diplôme en lien avec le métier.


Les principaux postes non pourvus sont ceux d’employés et d’agents de maîtrise de l’hôtellerie et de la restauration, de cuisiniers, d’assistantes maternelles, de conducteurs de véhicule, de cadres, de technico-commerciaux, d’ingénieurs, de techniciens de l’informatique et de carrossiers. Cette liste ne présente aucune surprise, ces métiers connaissant régulièrement des problèmes de recrutement.

Si certains secteurs en tension demeurent, c’est sur eux qu’il faut donc concentrer nos efforts. Ce sont souvent des emplois ressentis comme peu valorisants et/ou peu rémunérateurs, mais aussi des métiers que l’on ne connaît pas vraiment ou qui ont mauvaise presse, comme celui de chaudronnier qui a aujourd’hui peu à voir avec l’image que l’on s’en fait communément.


Mon département, la Loire-Atlantique, malgré un taux de chômage inférieur à la moyenne nationale, ne déroge pas à cette situation. Selon le recensement de Pôle emploi des besoins en main-d’œuvre pour 2018, plus de 50 % des 54 236 projets de recrutement sont réputés difficiles. Pour 442 d’entre eux, la difficulté est même estimée à 100 %.


Dans ces projets de recrutement très difficiles qui représentent donc moins de 1 % du volume global, on retrouve principalement les métiers de charpentier, de régleur, d’ouvrier qualifié industriel, d’ouvrier non qualifié en artisanat, de vendeur en gros, de personnel navigant de l’aviation, d’agent de maîtrise en entretien, de conducteur d’engins, de contrôleur de transports ou encore de concierge.


Si certaines offres d’emploi ne trouvent pas preneur, c’est peut-être aussi parce qu’elles ne sont pas assez attractives, que ce soit au niveau des missions, du salaire ou au regard de la pénibilité.


Quand on recherche un emploi, on privilégie celui qui correspond à son souhait et à sa formation, ce qui est assez légitime. Généralement, le fait d’élargir ses recherches à d’autres secteurs d’activité fait que les niveaux de qualification et de rémunération sont alors moindres. Il est alors difficile pour la personne en recherche d’emploi de se projeter dans un nouveau projet professionnel quand celui-ci, en plus de l’éloigner de son profil initial, est financièrement non stimulant.


Enfin, l’attractivité d’un poste dépend aussi des conditions de vie et de la qualité de vie environnante. Entre 2007 et 2011, environ 500 000 personnes ont dû renoncer à un poste en raison de problèmes de logement et du surcoût de la mobilité exigée. À ce niveau, le mouvement des « gilets jaunes » a mis en évidence dans nos campagnes la problématique du coût de l’essence.


Un postulant qui se rend compte qu’aucun logement ne lui sera accessible au regard de ses revenus et/ou que les transports ne seront pas adaptés à ses horaires, même s’il a les capacités professionnelles pour répondre à l’offre, risque de se retrouver en difficulté et ne déposera peut-être pas sa candidature. C’est un élément très important à prendre en compte, surtout pour les secteurs qui fonctionnent essentiellement en temps partiel et en CDD. La restauration est, de ce point de vue, un bon exemple.

Cet environnement favorable est du ressort des collectivités locales, qui doivent penser leur aménagement en ce sens. Il est aussi du ressort des entreprises, qui doivent adapter ces offres non pourvues, notamment en termes de temps de travail, de rémunérations, de mobilité géographique, pour mieux répondre aux possibilités des candidats.


Enfin se pose le problème des nombreux jeunes formés dans des filières aux débouchés insuffisants pour satisfaire tout le monde. Le rôle des instances publiques doit être d’orienter ceux qui n’ont pas de projet professionnel défini vers les secteurs en tension et en devenir, et de les inciter à se former en ce sens.


Dans un monde du travail où le secteur des services occupe près de 75 % de l’économie française, où la numérisation et la robotisation constituent une vague irrésistible, la politique de formation est un enjeu stratégique. La formation professionnelle, initiale et continue demeure donc un enjeu clé. Il est essentiel de mieux cibler les formations et surtout de mieux les adapter aux demandeurs d’emploi.


Pour conclure, le chômage n’est pas simplement un choix personnel qui se résoudrait en traversant la rue.


Concernant les emplois non pourvus, il ne faut pas se concentrer sur une vaine bataille de chiffres. Le marché du travail est en perpétuelle évolution et a besoin de souplesse. La question fondamentale de la politique de l’emploi demeure l’accroissement du nombre d’offres, pas leur pourvoi intégral !


Néanmoins, pour changer la donne, chacun doit prendre ses responsabilités : à l’État de mieux adapter l’offre de formation aux besoins ; aux entreprises de rendre certains métiers boudés par les candidats plus attractifs en termes de salaire, d’horaires ou de conditions de travail ; aux collectivités de faciliter la mobilité géographique liée aux coûts du logement ou des transports. Bref, ce débat a pour objet d’esquisser des pistes, car il y a urgence.


Jean-Pierre DECOOL - question au Gouvernement

Monsieur le président,

Madame la ministre,

Mes chers collègues,

Je souhaite remercier les orateurs qui m’ont précédé pour leurs interventions qui ont mis en avant les grands enjeux de ce débat.


Je voudrais, quant à moi, évoquer plus spécifiquement la question de l’apprentissage, pour lequel de nombreuses offres de formation et de contrats de travail en alternance ne sont pas pourvues.


Dans ma région, nombreux sont les lycées professionnels et les entreprises qui cherchent sans succès de jeunes apprentis, notamment dans les filières traditionnelles de l’hôtellerie-restauration, de l’alimentation, de l’industrie, mais aussi dans certaines filières plus innovantes, comme le numérique.

L’apprentissage est une voie d’avenir qui forme à de nouveaux métiers, des plus traditionnels aux plus innovants. Dans les Hauts-de-France, il est possible de préparer plus de 530 diplômes par la voie de l’apprentissage.


Cette année encore, plus de 33 000 jeunes de ma région ont choisi l’apprentissage pour se former au métier de leur choix, dans l’un des 380 centres de formation. Mais c’est loin d’être suffisant ! Il faudrait 50 000 jeunes pour satisfaire les entreprises et remplir les formations.


Comment améliorer cette situation ? Comment mieux communiquer auprès des jeunes pour revaloriser ces filières ? Car choisir l’apprentissage, c’est opter pour l’excellence, l’accès à une qualification reconnue et la perspective d’une insertion professionnelle rapide : près de 70 % des apprentis trouvent un emploi dans l’année qui suit l’obtention de leur diplôme.


Le Gouvernement a décidé de simplifier le dispositif et de créer de nouveaux circuits de financement dans la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel. Il faut maintenant aller plus loin en travaillant sur le terrain avec les collectivités locales, les centres de formation et les entreprises afin d’attirer davantage de jeunes dans ces filières et formations d’avenir.


Daniel CHASSEING - conclusion du débat

Monsieur le président,

Madame la ministre,

Mes chers collègues,

Le marché du travail présente une inadéquation persistante entre l’offre et la demande, faute de candidats ou faute de profils adéquats. Les secteurs du bâtiment et de la construction sont les premiers concernés, mais il y a aussi la filière des services à la personne, le commerce, les TPE, les emplois saisonniers, en horaires décalés, et le travail le week-end.

En décembre 2017, le consei

l d’administration de Pôle emploi constatait que 150 000 à 200 000 offres n’étaient pas pourvues, faute de candidats. Les principales causes incriminées par les recruteurs sont le manque de formation, soit le manque de compétences nécessaires, la faible attractivité de certaines offres due à un déficit d’image, aux conditions de travail ou à l’éloignement.


Pourquoi ce constat ? En France, 150 000 jeunes sortent chaque année du milieu scolaire sans formation et sans diplôme ; il y a au total 1,3 million de personnes dans cette situation. La France compte 22 % de ses jeunes au chômage, et seulement 300 000 à 400 000 apprentis, tandis que l’Allemagne compte 1,4 million d’apprentis et seulement 7 % de jeunes au chômage. Mon collègue Jean-Pierre Decool a fait état des difficultés de recrutement des apprentis dans certaines filières, notamment l’hôtellerie-restauration.


De plus, le système d’orientation n’est pas suffisamment performant en France : 50 % des jeunes disent avoir mal été accompagnés dans les établissements scolaires. Notre pays accuse un grand retard dans ce domaine, l’orientation se limitant bien souvent à la présentation des filières, quand dans d’autres pays, comme en Finlande, l’orientation est pleinement intégrée dès l’école élémentaire, avec également, au collège, des visites dans les entreprises, des films sur les métiers et des entretiens individuels assurés par un enseignant spécifique.


En ce qui concerne la formation, seulement 19 % des ouvriers en font la demande à l’employeur, contre 50 % des cadres. La réalisation d’entretiens professionnels dans les TPE serait souhaitable.


La loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel apporte des solutions pour les apprentis, avec une transformation d’un système trop complexe. Elle vise notamment l’aide pérenne aux entreprises, les horaires de travail adaptés, la simplification des contrats d’apprentissage, la possibilité d’apprentissage jusqu’à 30 ans et la mise en place d’une meilleure information par les régions dans les lycées.


Il s’agit également, à travers les ordonnances prises sur le fondement de la loi d’habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social, d’encourager le dialogue social dans les entreprises pour améliorer la formation des salariés.


Actuellement, les CFA et les lycées professionnels sont gérés respectivement par les branches et l’éducation nationale, qui doivent travailler ensemble pour tenir compte de la spécificité de l’emploi des territoires et faire de l’apprentissage une voie d’excellence. Il est nécessaire d’associer Pôle emploi, la région, les partenaires sociaux et les entreprises pour réorganiser la formation, en particulier en tenant compte des compétences recherchées dans les bassins d’emploi.


Le Gouvernement a misé sur la formation professionnelle, avec un financement de 15 milliards d’euros entre 2018 et 2022 pour rehausser le niveau de compétences des plus éloignés de l’emploi.


L’aide à la mobilité, notamment dans le milieu rural, est essentielle. Il faut une différence de salaire suffisamment incitative, coût de mobilité compris, entre les personnes qui travaillent et celles qui restent inactives.


Le réseau emplois compétences pourrait tenir le rôle de plateforme de coordination, chargée de centraliser, de traiter les données locales et d’anticiper les besoins par le déploiement de formations centrées sur les compétences recherchées dans les bassins d’emploi.


Pour conclure, je dirai que la lutte contre le chômage passe par la formation initiale et continue, notamment par une voie d’apprentissage, mais aussi par une coopération étroite avec les entreprises, les plus à même d’identifier les salariés dont elles ont besoin. Les personnes handicapées pourront, avec le doublement des entreprises adaptées, trouver aussi une solution. Redonner un sens et une valeur au travail, faire de l’apprentissage une voie d’excellence, favoriser les mobilités internes et géographiques, ainsi que les formations en entreprise : tels sont les principaux axes d’action que nous proposons pour apporter une réponse aux problèmes des emplois non pourvus et du chômage.

Je veux enfin remercier notre collègue Joël Guerriau, qui a pris l’initiative de ce débat, mais également Mme la ministre et tous nos collègues, qui nous ont permis d’avoir des échanges de qualité




Interventions au Sénat

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