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Claude MALHURET : Débat sur l'évolution des droits du Parlement face au pouvoir exécutif

16 mai 2018


Débat sur l'évolution des droits du Parlement face au pouvoir exécutif

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, en 1958, afin de mettre fin à des années d’instabilité gouvernementale ayant marqué la fin de la IVe République, les rédacteurs de la Constitution ont multiplié les instruments donnés au Gouvernement pour assurer sa stabilité et ses moyens d’action. Ainsi, le Parlement s’est vu, dès la naissance de la Ve République, limité dans sa fonction législative.

L’un des objectifs affichés de la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, qui a nécessité la modification de plus de la moitié des articles de la Constitution, a été de renforcer le Parlement législateur, en passant tout à la fois par une réappropriation de la procédure législative par les deux assemblées et une revalorisation de la norme législative. Si un certain nombre de dispositions ne concernaient pas directement le Parlement, en revanche, l’essentiel de la révision tendait à établir un nouvel équilibre entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif.

La réforme constitutionnelle de 2008 a ainsi permis de revenir sur des éléments souvent considérés comme fondateurs de la Ve République, tels que l’impossibilité pour le Président de la République de s’exprimer lui-même devant le Parlement, l’interdiction faite aux assemblées de voter des résolutions à l’adresse du Gouvernement, la prédominance du Gouvernement sur l’ordre du jour des assemblées ou encore l’engagement de la discussion législative sur le texte du Gouvernement et non sur celui de la commission.

La révision de 2008 est à l’origine d’évolutions majeures : un nouveau partage de l’ordre du jour, le renforcement du rôle législatif des commissions, l’instauration d’un délai d’examen des textes, de nouvelles règles de présentation des projets de loi, la précision des règles de recevabilité des amendements, de nouvelles prérogatives pour les présidents d’assemblée dans la procédure législative, un encadrement du recours à l’article 49.3, la reconnaissance de droits aux groupes d’opposition ou minoritaires ou encore le développement du rôle du Parlement en matière internationale et européenne – tout en n’étant pas exhaustive, cette liste montre bien l’importance de cette révision.

C’est non pas seulement le rôle législateur du Parlement qui a été renforcé à cette occasion, mais également le Parlement contrôleur. Néanmoins, je crois que nous pouvons admettre collectivement que nous ne nous sommes pas approprié l’ensemble des moyens constitutionnels à notre disposition pour ce qui concerne la fonction de contrôle.

Avec la révision qui s’annonce cette année, nous avons une occasion de conforter le travail de rééquilibrage des institutions commencé en 2008.

La semaine dernière, vous avez présenté, madame la garde des sceaux, le projet de loi constitutionnelle pour une démocratie plus représentative, responsable et efficace. Nous partageons avec le Gouvernement et le Président de la République ce triple objectif. Le texte présenté constitue l’aboutissement d’une annonce faite par le Président de la République à l’ensemble des parlementaires réunis en Congrès le 3 juillet 2017. Néanmoins, ce projet de loi constitutionnelle soulève plusieurs interrogations quant à l’équilibre nouveau trouvé en 2008.

En premier lieu, le texte présenté envisage d’encadrer le droit d’amendement des parlementaires. La limitation d’un tel droit conduirait à un renforcement de la prédominance du pouvoir exécutif. Cela risque d’ailleurs de poser un problème constitutionnel, puisque le droit d’amendement est une liberté fondamentale des parlementaires qu’une jurisprudence constante du Conseil constitutionnel a eu à cœur de garantir. Contraindre davantage cette liberté limiterait un droit consubstantiel au mandat parlementaire, qui est le sens même de la fonction de législateur, même s’il faut bien considérer que, parfois, des amendements présentés sont extrêmement éloignés des débats. Il est peut-être opportun de trouver des solutions à ce problème.

En deuxième lieu, il est proposé de modifier le fonctionnement de la navette parlementaire. En cas de désaccord avec le Sénat, l’Assemblée nationale ne serait plus amenée à se prononcer sur la version sénatoriale. Évidemment, l’objectif final est d’avoir une loi bien construite, bien travaillée, et l’importance du Sénat dans cet exercice n’est plus, me semble-t-il, à démontrer.

En troisième et dernier lieu, même si l’on peut comprendre le désir de l’exécutif de vouloir modifier le principe de l’ordre du jour partagé, en permettant au Gouvernement de le fixer prioritairement dans certains cas, cela ne peut se faire au détriment du rôle même des assemblées. Il y va du nécessaire équilibre institutionnel instauré par la réforme constitutionnelle de 2008. Cela conduirait à accorder au pouvoir exécutif une prérogative qui, à mon avis, prédominerait excessivement sur celle du Parlement.

Madame la garde des sceaux, mes chers collègues, si la volonté du Gouvernement de vouloir répondre aux attentes de nos concitoyens en rationalisant davantage le fonctionnement du Parlement est louable et souhaitable, nous sommes tous attentifs sur les points que je viens d’aborder et qui ont été évoqués précédemment par d’autres orateurs, et des discussions seront nécessaires tout au long de la procédure parlementaire. Le groupe Les Indépendants y prendra pleinement part lors des prochains débats parlementaires, tout en restant ouvert à l’idée d’une plus grande célérité et d’une plus grande efficacité des travaux parlementaires. Exécutif et législatif ont tous deux le même objectif : la réussite de la France.


Interventions au Sénat

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