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Claude MALHURET : Congrès du Parlement

09 juillet 2018


Le Parlement en Congrès

Le Président de la République n’est plus parmi nous. La Constitution le lui interdit n’en déplaise aux professionnels de la mauvaise foi qui voudraient qu’on croie leur blague : « Le roi vient et n’écoute même pas ce que nous avons à lui dire ».

La solution à cette imperfection de la révision constitutionnelle de 2008 vient de nous être proposée par le Président lui-même et je ne doute pas, Monsieur le Premier Ministre, au vu des applaudissements qu’il a recueillis, que cet amendement trouvera sans difficulté une majorité des 3/5 au Congrès ! Je vais donc anticiper cette échéance et m’adresser à vous-même bien sûr mais aussi au Président comme s’il était encore là.

Et je commencerai, c’est la moindre des politesses, par les compliments.

Monsieur le Président, nous vous devons tout d’abord d’avoir sorti le paysage politique d’une torpeur un peu désespérante qui, il y a deux ans, faisait des français, à la grande surprise de tous ceux qui les envient, le peuple le plus déprimé du monde.

Le moral s’est amélioré devant un chambardement comme les français les adorent. Un parti qui n’existait pas il y a deux ans, désormais tout puissant à l’Assemblée, les deux grandes forces d’alternance traditionnelles moribonde pour l’une, écartelée pour l’autre. Il est vrai que surnagent encore, surfant sur les protestations, les vrais populistes. D’un côté un castro-chavisme d’opérette, à l’idéologie archi-décédée, qui n’a pas daigné être des nôtres aujourd’hui, ce qui donne une idée de son respect envers un Parlement qu’il dissoudrait immédiatement s’il devait un jour arriver au pouvoir. De l’autre, une extrême droite passée en quelques années du népotisme aux Atrides, dont le programme repose sur la farce des deux euros à usage interne et externe, et qui admire à l’étranger – un comble dans ce parti dont le bréviaire a toujours été la dénonciation de la ploutocratie et du communisme – qui admire à l’étranger un ploutocrate américain et un ancien colonel du KGB.

Comme dirait Bernard Blier, Monsieur le Président, vous avez éparpillé le paysage politique façon puzzle. Bravo l’artiste. Mais méfiez-vous tout de même, le mélange est instable.

Il faut vous complimenter aussi, Monsieur le Président, pour une partie substantielle de votre action depuis un an et pour celle que mène avec sérieux et sans esbroufe votre Premier Ministre, Edouard Philippe.

D’abord au plan international. Personne ne peut nier que la France a retrouvé une place, un rôle et une influence qu’elle avait largement perdue. Premièrement parce que vous avez battu les populistes en France au moment où ils s’imposent partout. Ensuite parce que dans un monde tenté par le protectionnisme, l’isolationnisme, les menaces et les postures, vous donnez l’image d’une France attachée au dialogue, à la paix, au multilatéralisme et à l’Europe. Et chez les français, si attachés à l’universalisme de leur nation, pour lesquels une France petite est une France en crise, cette image est rassurante.

Au plan national il n’y a aucune raison de ne pas soutenir vos réformes lorsqu’elles vont dans le bon sens. Je m’amuse souvent de voir certains de nos collègues contester vos propositions avec la même conviction qu’ils mettaient à les soutenir lorsqu’elles émanaient de leur candidat quelques mois plus tôt.

Le cardinal de Retz disait : « Il faut souvent changer d’opinion pour être toujours de son parti ». C’était bien observé !

En ce qui nous concerne nous ne voyons aucune raison de ne pas soutenir les changements qui nous paraissent opportuns. Sur l’éducation, sur le code du travail, sur la formation professionnelle, sur l’apprentissage, sur le pacte ferroviaire que nous venons de voter et qui fut une défaite cuisante pour ceux qui n’ont pas hésité à mettre en place la pire des formes de grève, la grève à répétition pour pourrir au maximum la vie des français, grève justifiée par un pseudo-vote avec des urnes en carton trimbalées d’un dépôt à l’autre, des feuilles volantes en guise de listes d’émargement et à l’arrivée un score digne de l’élection de Brejnev au Politburo. Comme disait Staline, ce qui compte ce n’est pas le vote, c’est la façon dont on compte les votes. Il fallait leur résister, vous l’avez fait et le Parlement avec vous.

Voilà pour les compliments. Mais après le miel, permettez-moi un peu de sel. Notre groupe s’appelle « les Indépendants ». Nous ne sommes ni macronolâtres ni antimacroniens primaires, ce qui, à mon avis, nous place parmi les plus objectifs des groupes qui s’expriment aujourd’hui. Je souhaite donc que vous considériez les remarques qui suivent comme constructives et non pas comme corrosives.

Parmi ces remarques, il y a les périls, il y a les désappointements, je l’espère pour vous et pour les français provisoires, et il y a les défis.

Les périls, vous les connaissez, bien entendu. Et d’abord les périls extérieurs.

Le terrorisme bien sûr, auparavant éloigné et exogène, désormais domestique. Que faire des djihadistes de retour sur notre sol ? Comment combattre la radicalisation ? Et combien de temps notre armée parviendra-t-elle à être engagée sur plusieurs fronts étrangers et sur le territoire national ?

Les migrations ensuite. Si les flux ont diminué cette année, seuls les égarés peuvent ne pas voir que la tendance à long terme est à une croissance inexorable. Une triple crise, politique, de conscience et d’identité s’est ouverte en Europe.

La remise en cause du lien transatlantique par la guerre commerciale d’un populiste imprévisible et sans mémoire, qui cultive le doute sur son attachement à l’OTAN et traite les européens comme des adversaires est un autre défi. Les européens sont en train de s’apercevoir qu’ils sont seuls. Espérons que ce constat sera un aiguillon.

L’essor des émergents est une des meilleures nouvelles qu’ait connue l’humanité. Il a permis la sortie de la misère de milliards d’hommes et de femmes. Et ceci grâce au libéralisme économique inventé par nos démocraties il y a quelques siècles, contrairement aux imprécations des vendeurs de lendemains qui chantent. Mais paradoxalement, c’est à l’heure où ce libéralisme économique triomphe que les dictatures et les démocraties illibérales et sécuritaires connaissent un regain d’attrait, et ce n’est pas une bonne nouvelle.

Le dérèglement climatique en est peut-être une pire encore avec ses conséquences en termes de santé, de coûts, de risques géopolitiques et surtout en raison des effarantes difficultés de la nécessaire transition énergétique.

Ces périls, vous les connaissez, il n’y a pas un déplacement à l’étranger où vous ne les ayez évoqués, tenté d’en résoudre certains. Mais chaque jour la tâche paraît plus immense et la France plus petite face au reste du monde. Malheureusement, chaque jour l’Europe paraît un peu plus le cadre pour y faire face. Et malheureusement, si l’Europe est la solution, elle est en même temps le problème et le dernier péril est que sa crise actuelle, à la différence de toutes les précédentes qui ont été surmontées, risque d’emporter l’édifice.

Les déconvenues, aucun gouvernement n’y échappe. Et les états de grâce, comme la jeunesse et les roses, ne durent jamais, vous avez dû vous en apercevoir.

Lorsque vous avez été élu, on a comparé votre situation à celle du Général de Gaulle en 1958 ayant asséché le paysage politique au profit de son rassemblement. Mais il y a une grande différence. Malraux disait : « Le parti gaulliste c’est le métro à six heures du soir ». En marche n’est pas le métro à six heures du soir. Ceux qui vous ont élu et ceux qui vous soutiennent aujourd’hui sont les français des métropoles plus que ceux des territoires oubliés, ceux qui se sentent à l’aise dans la mondialisation plus que les perdants, ceux pour qui l’ascenseur social continue de fonctionner plus que les travailleurs pauvres ou les chômeurs. Vous devez trouver cela injuste, Monsieur le Président, parce que vous êtes persuadé de travailler pour tous et de changer les méthodes non parce que vous êtes antisocial mais parce que notre modèle social est en panne.

Vous trouvez sans doute également injuste le désamour d’une partie des élus locaux. La conférence des territoires s’ouvre dans deux jours, en l’absence de leurs trois grandes associations. Vous avez beaucoup de raisons de trouver cela étonnant, vous dont le gouvernement a pour la première fois depuis des années amorti la baisse des dotations. Mais c’est comme ça, même si une grande part de la responsabilité en revient à une technocratie qui a planté les ministres en charge de vendre cette politique que les élus locaux comprendront.

Permettez au Maire que j’ai été pendant 28 ans de vous citer à nouveau le cardinal de Retz : « L’esprit dans les grandes affaires n’est rien sans le cœur ». Les élus de nos territoires sont prêts à accepter beaucoup, ils l’ont fait dans le passé, mais ils aimeraient, excusez-moi de ce mot qui peut paraître ici incongru, des preuves d’amour ou, tout au moins d’affection dont ils ont l’impression qu’elles tardent à venir.

Enfin il y a les défis. Tout est défi pour un Président de la République, tous les périls et toutes les déconvenues que j’ai évoqués. Mais le principal c’est le défi de l’action, et celui-ci vous l’avez parfaitement identifié. Alors que les parlementaires commencent à se plaindre des rafales de lois qui se succèdent et qu’ils sont au bord du burn out, paraît-il, vous avez confié à The Economist que vous vous reprochiez au contraire de n’avoir pas fait des choses suffisamment tôt. C’est une grande lucidité. Et si je peux me permettre deux critiques, la première est que si beaucoup de vos réformes vont dans le bon sens, certaines ne font qu’effleurer le sujet.

Mais cette critique est modérée. J’aurais mauvaise grâce à reprocher sa timidité au premier gouvernement depuis des années qui a eu le courage de s’attaquer à plusieurs vaches sacrées de l’immobilisme français. Et l’on peut lui pardonner d’avoir dû faire quelques génuflexions bien-pensantes devant des adversaires souvent menaçants.

Ma deuxième réflexion n’est pas un reproche, c’est une attente. Nous sommes nombreux à la partager et je sais qu’elle vous hante. Elle s’appelle la baisse des dépenses publiques dans ce pays dopé à la dépense publique. Elle est la condition de votre crédibilité sur la scène européenne et internationale, elle est la condition de votre réussite dans notre pays. Vous devrez faire des choix cornéliens, vous devrez prendre des risques majeurs. Et toutes les oppositions se conjugueront contre vous.

Mais in fine, la clef de la réussite, le juge de paix de votre quinquennat sera votre capacité à rassembler une France qui oscille entre la tentation atavique de la division et l’aspiration historique à l’unité. Une France capable de relever le défi de l’Europe pour relever ceux du monde !

Interventions au Sénat

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