Claude Malhuret - Article 50-1 : déclaration du Gouvernement sur la stratégie de défense nationale, les moyens supplémentaires et les efforts industriels à engager
- Les Indépendants
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15 Décembre 2025
Monsieur le Président,
Monsieur le Premier Ministre,
Mesdames et Monsieur les Ministres,
Je ne vais pas parler ce soir de stratégie, je vais vous parler d’urgence. Et l’urgence aujourd’hui se résume en une phrase simple : si l’Ukraine perd la guerre l’Europe se trouvera en confrontation directe avec la Russie et dans les pires conditions. La conclusion est claire : l’Ukraine ne doit pas perdre cette guerre.
« Pire que le bourreau, son valet » disait Mirabeau. Ceux qui ne sont pas encore convaincus que Trump est le valet de Poutine devraient méditer sur les derniers évènements. Plan de paix américain rédigé à Moscou, Witkoff indiquant aux russes comment mieux manoeuvrer son patron, obsession d’évincer les européens des négociations, arrêt quasi-total de l’aide économique et militaire, nouvelle stratégie nationale de sécurité implacable contre l’Europe et complaisante envers la Russie.
Aujourd’hui au mieux l’Europe est seule, au pire elle affronte deux ennemis : la Russie et le trumpisme. Demain dans les livres d’histoire on ne dira plus Munich, on dira Anchorage. On ne dira plus Daladier ou Chamberlain, on dira Trump, qui est en train d’offrir aux russes par la trahison ce qu’ils échouent à conquérir par les armes. Sans oublier bien sûr d’enrichir au passage sa famille et ses affidés. En Europe un Président avec de tels conflits d’intérêt serait immédiatement destitué.
Le système MAGA en train de briser toutes les valeurs américaines nous force à repenser l’ensemble de nos réflexions stratégiques, et pire encore à le faire dans l’incertitude au gré des changements de cap quotidiens calqués sur les humeurs du boss.
La seule continuité dans cette politique insensée consiste à répudier, humilier et vassaliser tous les alliés. Churchill disait qu’il n’y a qu’une chose pire que de combattre aux côtés d’alliés, c’est de combattre sans eux. Trump et ses promoteurs immobiliers travestis en diplomates s’en apercevront le jour où, sur un terrain de crise, ils constateront à leurs dépens qu’aucune puissance au monde ne peut se passer d’alliés, comme tout le monde le sait depuis la défaite d’Athènes contre Sparte.
Poutine, lui, son objectif stratégique n’est pas l’Ukraine, c’est le retour à Yalta. Il l’a annoncé en 2007 à Munich en disant que l’OTAN devait revenir aux frontières de 1997. Ecoutez aujourd’hui Karaganov : « la guerre ne prendra fin que lorsque nous aurons défait l’Europe. »
Le but de Poutine n’est pas de prendre un territoire. C’est de prendre sa revanche sur l’Occident et son droit, pour revenir à un monde de la force. Un concert des grandes puissances, Moscou, Washington et Pékin. Hélas, c’est aussi la vision de Trump. Pour cela, il faut en finir avec l’Otan et l’Union Européenne. Et ce monde de l’Otan et de l’UE qui paraissait inébranlable, se révèle un colosse aux pieds d’argile !
L’Europe est seule. Et depuis trois ans, anesthésiée par trois décennies de tranquillité, entravée par ses divisions et les lourdeurs de ses procédures, fragilisée par sa désindustrialisation et terrorisée par les menaces de Poutine elle n’a réussi qu’à grand peine à éviter le pire grâce avant tout à l’héroïsme des ukrainiens. Il est temps de se ressaisir.
La décision de l’UE de geler définitivement les avoirs russes était la première urgence. Trump comptait les kidnapper au profit d’un fonds Russie/USA. L’agresseur devenait un partenaire commercial, la victime un centre de profit. Le médiateur gardait 100 milliards plus une rente de 50% sur les bénéfices. Et l’allié européen qui détient les avoirs les voyait s’évaporer. Voila le monde selon Trump.
Les avoirs sont donc protégés. La deuxième urgence est de les utiliser pour armer l’Ukraine, ce dont nous discutons depuis trois ans sans arriver à rien. Les Etats-Unis ont coupé toute aide. Ils nous vendent les armes que nous livrons à l’Ukraine. Il n’y a plus d’argent. Si l’argent n’est pas débloqué dans les semaines qui viennent l’Ukraine perdra la guerre. Le 18 décembre à Berlin, la France a une responsabilité historique : convaincre les européens de débloquer ces fonds.
La troisième urgence est de nous réarmer. En 2022, il y a trois ans, le Président de la République a annoncé l’entrée en économie de guerre. Trois ans plus tard quelqu’un ici a-t-il vu une quelconque économie de guerre ? Le PIB de l’Europe est 10 fois supérieur à celui de la Russie, et nous avons été incapables de mettre l’Ukraine à parité d’armement avec l’agresseur. Ce que nous lui proposons c’est l’entrée dans l’UE en 2030 et des garanties une fois la guerre finie. Qui peut croire ces promesses alors que nous sommes incapables de soutenir aujourd’hui suffisamment l’Ukraine agressée ? Qui peut croire à notre réarmement qui suppose une réindustrialisation alors qu’en deux ans nous avons été incapables de mettre en œuvre plus de 10% du rapport Draghi. La hausse du budget militaire est une bonne nouvelle. Elle fait suite à une augmentation sensible depuis 2017. Mais c’est une augmentation de temps de paix. Permettez-moi une citation : « La Russie entretient une confrontation avec l’Europe. Elle n’emprunte pas les traits d’une guerre classique. Mais c’est une forme de guerre », Cette citation est de Sébastien Lecornu, Ministre des armées, dans son livre : Vers la guerre. Et je partage entièrement votre diagnostic, Monsieur le Premier Ministre : nous sommes en guerre.
En mai 40, alors que l’armée britannique est en déroute, Winston Churchill nomme un industriel, Lord Beaverbrook, à la tête d’un nouveau ministère de la production aéronautique. Sa mission : produire des avions en masse. Dès Août 40 l’Angleterre produit plus d’avions qu’elle n’en perd au combat. Churchill crée une autorité interministérielle de l’industrie de Défense, dotée de pouvoirs de décision, de passer au-dessus des blocages administratifs, de confier aux industriels la responsabilité de produire vite et bien. Et ça a marché. Comme a marché la même idée appliquée au défi de la reconstruction de Notre-Dame. Ce que nous avons fait pour Notre-Dame, il faut le faire aujourd’hui pour la sécurité de notre pays. Si nous voulons vraiment préparer la guerre, ce qui est le meilleur moyen de l’empêcher d’arriver, il faut oublier les procédures du temps de paix et l’inertie des trois dernières années en Europe. Et il faut le faire avec des chefs. Le triumvirat Macron Merz Starmer fonctionne. Si l’on veut entraîner durablement l’ensemble des européens, il faut lui associer le Premier Ministre de l’incontournable Pologne.
La dernière urgence, c’est la bataille de l’opinion. Pilonnée par les laquais de Poutine, l’extrême droite et l’extrême gauche, c’est un miracle qu’elle résiste encore et que les sondages confirment que son soutien à l’Ukraine ne faiblit pas. Les poutiniens des deux bords sont à l’assaut pour fustiger les propos du chef d’Etat-Major des armées, lorsqu’il dit que jamais une guerre n’a été gagnée par les seuls militaires au front mais par la nation toute entière. Ils se qualifient de patriotes. Mais ce sont des patriotes russes. Comme leurs ancêtres étaient des patriotes allemands ou des patriotes de l’URSS.
L’Union européenne a été conçue pour la paix et la prospérité, pour la fin de l’Histoire. Elle était le rêve de Fukuyama.
Elle a pour alternative aujourd’hui sa vassalisation et son partage au terme d’un nouveau Yalta, ou bien sa transformation en puissance souveraine. Elle doit de toute urgence assurer par elle-même sa sécurité et réussir à imposer un plan de paix favorable à l’Ukraine, à l’opposé du plan de capitulation qui préparerait les futures agressions de la Russie. Elle doit enfin dénoncer les ingérences inadmissibles de Trump et des nababs de la tech dans les affaires intérieures de l’Union.
Trump n’est pas éternel. Il commence à être battu partout. Cote de popularité en chute libre, élections perdues : Virginie, New Jersey, Miami, dissidents MAGA, affaire Epstein qui lui colle aux doigts comme un sparadrap, latinos qui le quittent en masse devant la violence des expulsions, agriculteurs du Mid-West victimes des droits de douane. Dès que les élus républicains comprendront que Trump ne les fait plus gagner mais perdre, le navire prendra eau de toutes parts. Il est temps de cesser les génuflexions et d’encourager tous ceux, de plus en plus nombreux aux Etats-Unis, qui ont le courage de relever la tête.
Monsieur le Premier Ministre, Mesdames les Ministres, nous répondons oui à votre question : L’Europe a les moyens de redevenir la grande puissance qu’elle fut pendant des siècles, encore faut-il qu’elle en ait la volonté.
Je vous remercie.








