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Claude MALHURET : Débat - Stratégie vaccinale du Gouvernement dans la lutte contre la Covid-19

17 décembre 2020


Débat en application de l’article 50-1 de la Constitution sur la stratégie vaccinale dans le dispositif de lutte contre l’épidémie de Covid-19

Monsieur le Président,

Monsieur le Ministre,

Madame la Ministre,

Mes chers Collègues,


Après avoir souhaité au Premier Ministre de rester en bonne santé à mon tour, je vais commencer par les bonnes nouvelles. Par les temps qui courent, ça ne peut pas faire de mal.


Le Premier Ministre a annoncé jeudi dernier, que « c’est en France, je cite : que la situation est aujourd’hui la mieux maîtrisée par rapport à nos voisins ». La semaine dernière le taux d’incidence de la Covid était de 107 pour 100 000 contre 143 en Belgique, 150 en Allemagne et 250 en Suisse. 10 000 cas quotidiens en France contre 30 000 en Allemagne, il faut se pincer pour y croire. Mais ces chiffres sont précaires et après avoir fait pendant 8 mois un complexe d’infériorité vis-à-vis des allemands, ne faisons surtout pas aujourd’hui un complexe de supériorité. Ce virus continue d’être méconnu, déroutant et traître.


Sauf, bien sûr, pour ceux qui ont une boule de cristal. Lors du déconfinement en mai dernier, j’avais taclé le Professeur Mélenchon, de la Faculté de médecine de La Havane, qui avait annoncé à l’Assemblée l’arrivée inéluctable d’un deuxième pic de l’épidémie. Au même moment son collègue, le Professeur Raoult, de la Faculté de médecine de Marseille, annonçait avec la même certitude qu’il n’y aurait pas de deuxième vague. Bingo ! C’est Mélenchon qui a décroché le pompon et qui s’est immédiatement autodécerné sur twitter le prix Nobel de médecine prophétique, comme tant d’autres d’ailleurs sur les plateaux de télévision. Je n’ai rien à changer à ce que j’ai dit à l’époque : on a parfois une chance de tomber juste en jouant à Paul le poulpe. Après tout même les horloges arrêtées donnent l’heure exacte deux fois par jour.


La deuxième bonne nouvelle, c’est que les complotistes ont tort. Tous les anti-science sont en train de recevoir le meilleur des démentis et les scientifiques la meilleure des confirmations : 7 jours en janvier dernier pour séquencer le génome du virus, 303 jours entre le premier patient et la sortie d’un vaccin, là où il fallait 10 ans auparavant. D’ici quelques mois la pandémie sera vaincue par une extraordinaire performance scientifique, technologique, industrielle et logistique mondiale. J’allais dire mondialisée, mais je ne voudrais choquer personne…


Bien sûr les anti-science ne vont pas lâcher le morceau. Ils essaient maintenant de discréditer les vaccins. Avec un certain succès si l’on en croit les sondages qui affirment que 60 % de la population serait réticente. Les sondages disaient aussi qu’Hillary Clinton serait élue contre Trump et que les anglais voteraient contre le Brexit. Si l’on faisait le boulot en demandant à ceux qui hésitent si c’est parce qu’ils sont contre les vaccins ou si c’est parce qu’il y a encore des incertitudes, on découvrirait que les français, loin d’être des obscurantistes, sont au contraire des gens très rationnels. Une petite minorité d’anti-vaccins et une grande majorité qui se dit : avant que ma grand-mère se fasse vacciner je veux être sûr qu’elle ne risque rien.


Je vais vous proposer le sondage de l’Institut Malhuret. Depuis plus d’un mois nous sommes en rupture de stock de vaccins antigrippe. Pourtant les laboratoires en ont produit 1 fois et demie plus que l’an dernier. Les pharmacies ont été dévalisées. Conclusion : quand on propose aux français un vaccin connu et sûr, ils se précipitent dessus, surtout quand on risque le même hiver d’attraper la grippe et la Covid. Mon pronostic : quand nous commencerons la vaccination après que les anglais et les américains l’auront reçu depuis un mois, ce qu’il faut craindre ce n’est pas que les doses restent dans les congélateurs, mais que nous peinions à répondre à la demande.


Il y a beaucoup d’autres bonnes nouvelles en ces temps de morosité où, en plus, les jours raccourcissent : les progrès impressionnants des équipes médicales qui ont divisé par deux les décès en réanimation, le financement européen commun d’un plan de relance de 750 milliards d’euros, la résistance de nos sociétés et notamment de la nôtre confrontée à une triple crise sanitaire, économique, terroriste et qui ne craque pas. Mais ce n’est pas le sujet d’aujourd’hui.


J’en viens aux nouvelles plus préoccupantes, et la première est que nous sommes loin d’en avoir fini avec l’épidémie. Lors du premier discours du Premier Ministre ici, en juin dernier, je lui avais dit qu’on lui avait confié un job à 10 000 aspirines. J’étais peut-être en dessous de la réalité.


La course de vitesse a commencé, entre la probabilité d’une troisième vague, qu’il faudra réussir à maîtriser, et l’arrivée de l’immunité collective avec l’aide du vaccin, qu’il faudra réussir à assurer. Les mois qui viennent seront le véritable crash-test de l’épidémie, pour le Gouvernement qui sera jugé sur son issue et pour tous les français qui sauront à la fin s’ils font encore partie des nations qui résistent et qui réussissent ou des nations déclassées et reléguées en deuxième division.


Le premier acte de la pandémie fut, mondialement, une immense surprise, une immense incompréhension et une immense pagaille, à l’exception des pays asiatiques déjà confrontés au problème dans le passé. Cet acte s’est terminé par la solution la plus drastique, mais la plus coûteuse à tous points de vue, le confinement strict.


Le deuxième acte a commencé par le déconfinement de l’été. Nous avions fait beaucoup de progrès, nous avions les gestes barrières, les masques, les tests et la stratégie : tester, tracer, isoler, mais nous n’avons pas réussi à la maintenir sur le terrain. La conséquence en fut le deuxième confinement.


Le troisième acte commence aujourd’hui. Si nous voulons le réussir, il faut identifier nos points faibles, et j’en vois deux principaux.


L’isolement d’abord, qui divise la France en deux camps : obligatoire ou non. Posée en ces termes la question n’a pas de solution. Entre l’isolement laissé au gré de chacun qui aboutira au même résultat qu’en octobre, et l’isolement obligatoire qui conduira nombre de nos concitoyens à refuser les tests, la solution est un isolement réellement accompagné, avec des équipes allant à domicile et de réelles possibilités d’accueil pour ceux qui ne peuvent rester chez eux. Votre déclaration, Monsieur le Ministre et l’annonce de moyens humains accrus montre que vous l’avez compris. Mais c’est sur l’action que portent mes craintes. La coordination nécessaire entre tant d’acteurs, hôpitaux publics, privés, soignants, libéraux, laboratoires, collectivités territoriales, n’a jamais pu être réellement assurée jusqu’à ce jour par une administration de la santé effondrée sous son propre poids et multipliant les injonctions contradictoires. Un mauvais général vaut mieux que deux bons disait Napoléon. Il y a beaucoup de choses dont les français croient que le monde nous envie et que le monde ne nous envie pas du tout. Vous avez là un énorme défi à relever.


Le deuxième défi est la logistique, pour acheminer les vaccins jusqu’à leurs destinataires. Je disais tout à l’heure que nous sommes en rupture de stock de vaccins antigrippe. Si l’Etat ne peut éviter qu’un vaccin bien connu, annuel, facile à conserver, soit absent des pharmacies depuis un mois, vous comprendrez mes inquiétudes sur la capacité à assurer la logistique d’un vaccin produit à flux tendu, conservé à – 80°, commandé au même moment par le monde entier. Ma crainte n’est pas que les français ne veuillent pas se faire vacciner, c’est qu’ils ne puissent pas se faire vacciner. Voilà votre deuxième défi, Monsieur le Ministre, et je vous souhaite de tout cœur d’arriver à le relever. Mais il va vous falloir encore bien des boîtes d’aspirine.


Cette année se termine sur une note amère. Le deuil de ceux qui nous ont quittés, le désespoir de ceux qui ont perdu leur travail ou qui vont le perdre, l’angoisse des acteurs du monde de la culture, de la restauration, du tourisme, et de bien d’autres qui n’ont qu’une envie : reprendre leur activité et qui ne peuvent le faire. La France déprime, et c’est bien compréhensible.


Mais nous serions mal avisés d’en rester à ce constat, et surtout de le noircir encore. Le Time, premier news magazine américain titre cette semaine « La pire année de l’histoire ». C’est faux. Pensons à ceux qui étaient dans les tranchées de Verdun à 18 ans, pensons à ceux qui ont eu 20 ans en 1940. Rien n’explique mieux le bon vieux temps qu’une mauvaise mémoire. 2020 est une épreuve, mais ce n’est qu’une épreuve et l’humanité en a surmonté de bien plus graves. Après 2020, année de la tristesse, viendra 2021 et, grâce aux vaccins, grâce à notre respect des règles, grâce à notre solidarité, ce sera l’année de l’espoir, l’année où nous surmonterons à notre tour l’épreuve qui nous est assignée. C’est le vœu que je forme aujourd’hui.



Gérard LARCHER – Président du Sénat :

Merci Monsieur le Président, nous nous associons à vos vœux.


Interventions au Sénat

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