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Claude MALHURET : PJL et PJLO d'urgence pour faire face à l'épidémie de Covid-19

19 mars 2020


Projet de loi ordinaire et projet de loi organique d'urgence pour faire face à l'épidémie de Covid-19


Monsieur le Président,

Monsieur le Ministre,

Mes chers collègues,


Jamais un réalisateur de films catastrophes n’aurait imaginé un tel scénario. Au début de l’hiver, sur les étals d’un marché chinois où l’on vend pêle-mêle champignons et plantes médicinales improbables, animaux à plumes et à poils, morts et vivants, où des chauves-souris nichent dans les trous des plafonds, un vieil homme achète à la découpe un morceau de l’animal le plus bizarre au monde, qui ressemble à un rat entièrement recouvert d’écailles, un pangolin. Il l’emporte, le prépare, le mange et meurt en quelques jours, bientôt suivi d’autres clients du même marché. Les médecins signalent l’affaire aux autorités. Les apparatchiks locaux terrifiés à l’idée, assez plausible en Chine, d’être châtiés pour un évènement dont ils ne sont pas responsables, menacent les soignants des pires sanctions s’ils l’ébruitent. Un jeune médecin passe outre. Son compte WeChat est bloqué, mais son post a commencé à circuler. Il meurt quelques jours plus tard de la maladie qu’il vient de découvrir. Entre le 17 novembre, date du premier cas, et l’annonce en janvier par les autorités chinoises de l’apparition d’un nouveau virus, deux mois se sont écoulés. Un petit foyer d’infection qui aurait pu être contenu va devenir une pandémie.


Ce n’est que le début du film. La scène suivante se déroule dans un palais à Ryad. La Chine est à l’arrêt, le cours du pétrole vacille. L’OPEP propose une réduction commune de la production à Poutine, qui refuse. Mohamed ben Salman se venge en cassant les prix pour étouffer son concurrent. La guerre du pétrole entre l’Arabie Saoudite et la Russie a commencé. A l’ouverture des marchés, le lundi 9 mars les cours du Brent s’effondrent.


Wall Street s’affole. La décision de l’Italie de confiner sa population fait comprendre le choc de demande qui va survenir. La dégringolade de la Bourse se transforme en panique avec un Vix, l’indice de la peur, qui s’envole. Les coupe-circuits sur les trois grands indices américains s’activent automatiquement. Les marchés européens plongent.


Dernière séquence, une série de plans sur des dizaines d’écrans d’internautes. L’épidémie s’est transformée en infodémie. Les réseaux antisociaux affichent les chiffres les plus alarmistes, promeuvent les médecines farfelues, les bains d’eau chaude et les huiles essentielles. Les chaînes d’info en concurrence effrénée n’arrivent plus à trouver assez d’« experts ». A ceux de premier plan succèdent les seconds et troisièmes couteaux, qui répètent en boucle ce qu’ils viennent de voir sur une chaîne concurrente, ou au contraire qui disent n’importe quoi. Plus personne n’y comprend rien. La peur s’installe.


Ce film, que même Orson Welles n’aurait osé imaginer, c’est l’état du monde aujourd’hui. Et personne n’en connaît le dénouement.


Face à cette crise mondiale, notre premier impératif c’est l’humilité.


Nous sommes réunis pour décider des mesures qui vont s’imposer à notre pays. Jusqu’alors, à quelques outrances près, l’union sacrée a prévalu. Si cet hémicycle, ou celui de l’Assemblée Nationale, devait se transformer en une tribune politicienne, les français ne nous le pardonneraient pas. Ils attendent des actes, pas des roulements de mécaniques. La question n’est pas de s’écharper sur l’opportunité d’avoir maintenu le premier tour des municipales ni sur la date de réunion des conseils municipaux. Prenons garde à ne pas être déclarés hors sujet.


Ma deuxième réflexion : il s’agit d’une crise sanitaire, et depuis le début, gérée comme telle. Lorsqu’on a la chance de posséder l’un des meilleurs systèmes de santé au monde et des professionnels dont je tiens à saluer ici la compétence, le courage et l’abnégation, il est essentiel de faire confiance aux autorités sanitaires et à leurs efforts quotidiens de transparence face à la montée des fake news, du complotisme et de la peur. Il peut leur arriver, il leur est déjà arrivé de ne pas avoir toutes les réponses face à un ennemi inédit, mais ce dont je suis certain, c’est que les réponses qu’ils ont sont plus pertinentes que celles de leurs contradicteurs.


Ma troisième réflexion : il s’agit aussi, et de plus en plus, d’une crise économique et sociale. Elle sera tout aussi grave et pose un dilemme effrayant. Prendre des mesures de confinement trop drastiques, c’est tuer l’économie. Ne pas en prendre, c’est laisser mourir des français. Quoi que l’on fasse les critiques fuseront. Le Président de la République est confronté à la plus grande crise de son mandat, comme ses deux prédécesseurs, Nicolas Sarkozy avec les subprimes, François Hollande avec les carnages terroristes. Il va lui falloir beaucoup de doigté, beaucoup de force de conviction, beaucoup de sincérité.


Cette crise, en quelques jours, a changé les français. Jusqu’à dimanche dernier les journaux du monde entier s’étonnaient de ce peuple incurable, rebelle à toute discipline, réuni par milliers dans les parcs sous le soleil. Depuis lundi, et c’est un spectacle saisissant, les français respectent les consignes, ils supportent les contraintes, très majoritairement, ils ont compris que de leur attitude dépendra non seulement leur santé, mais celle de leurs compatriotes. Comme aux grands moments de leur histoire, ils se comportent en citoyens.


Je vais me risquer à un pronostic. Je ne suis pas pessimiste. Les exemples de la Chine, une fois les mensonges terminés, et de la Corée du Sud, démontrent qu’avec des mesures adaptées la victoire sur l’épidémie est une question de semaines, non de mois. C’est ce que nous sommes en train de faire.


Quant à la crise économique, elle n’a rien à voir avec celle de 2008. Elle est beaucoup plus profonde mais elle sera, je le crois, beaucoup plus courte. Lorsque la pandémie cessera le monde entier sera saisi d’une frénésie de consommer, de voyager, d’aimer, en un mot de vivre et espérons-le de manière plus respectueuse de notre planète qu’aujourd’hui. Il n’y a rien qui s’oublie aussi vite que les guerres, les catastrophes ou les épidémies une fois les beaux jours revenus. Je ne dis pas cela par hasard mais parce je l’ai vécu, souvent, et dans des pays bien plus vulnérables que le nôtre. C’est aussi ce que nous disent les livres d’histoire. Cette capacité d’oublier, ou peut-être faudrait-il dire de confiner le malheur, c’est sans doute une des raisons pour lesquelles l’humanité a survécu à des époques infiniment plus rudes et à des crises infiniment plus graves que celle d’aujourd’hui. Et celle-ci, comme les précédentes, bien sûr, nous la surmonterons.

Interventions au Sénat

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