Louis VOGEL : PPL visant à se libérer de l'obligation alimentaire à l'égard d'un parent défaillant
- Les Indépendants
- il y a 6 jours
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PPL visant à se libérer de l'obligation alimentaire à l'égard d'un parent défaillant
Monsieur le Président,
Monsieur le Ministre,
Mes chers collègues,
La libération de la parole au sein de notre société a permis de mieux mesurer l’ampleur des violences intrafamiliales, qu’elles soient conjugales ou parentales.
Cette prise de conscience salutaire nous oblige collectivement : la République doit protéger les plus vulnérables, et leur garantir justice et dignité.
Les maltraitances qui s’exercent dans le cadre familial laissent des traces profondes. Certains enfants, devenus adultes, se trouvent confrontés à une situation paradoxale : devoir subvenir aux besoins de parents qui les ont eux-mêmes maltraités.
C’est à cette situation que s’attaque la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui. Son auteur souhaite permettre à tout enfant, entre sa majorité et ses trente ans, de se libérer de son obligation alimentaire envers un parent qu’il estime défaillant, par un acte notarié.
Nous comprenons et saluons la motivation de ce texte : personne ne peut rester indifférent à la souffrance d’un enfant victime de violences ou de négligence parentale. Malgré l’émotion, nous devons veiller à préserver les fondations de notre droit civil.
Le principe de solidarité familiale, posé par les articles 203 et 205 du code civil, repose sur une réciprocité : les parents doivent assistance à leurs enfants, et les enfants, en retour, doivent des aliments à leurs ascendants dans le besoin.
En permettant à une personne de se décharger de son obligation alimentaire unilatéralement, ce texte instaurerait une procédure quasi inconditionnelle et extrajudiciaire de rupture des obligations familiales.
Notre groupe considère que, si la simplification des démarches est un objectif légitime, elle doit néanmoins préserver les droits de la défense et le respect du contradictoire, piliers de l’État de droit.
Le dispositif proposé renverse en effet la charge de la preuve : il reviendrait au parent de démontrer qu’il a été bienveillant envers son enfant. Or, comme le rappelle l’article 9 du code de procédure civile, il appartient à chaque partie de prouver les faits nécessaires au succès de sa prétention.
Demander à un parent de prouver sa bienveillance, c’est lui imposer de justifier de chaque instant d’une relation qui s’étend sur dix-huit années de vie : une exigence impossible à satisfaire. Il revient donc, en bonne logique juridique, à celui qui allègue la défaillance de la démontrer.
En outre, cette procédure, déclenchée par acte notarié et n’appelant l’intervention du juge qu’en cas de contestation dans un délai de six mois, méconnaît les droits du créancier de l’obligation — c’est-à-dire le parent.
Le droit actuel permet déjà de répondre à la situation que vise la proposition de loi. L’article 207 du code civil autorise ainsi le juge à décharger un débiteur alimentaire lorsque le créancier a manqué gravement à ses obligations envers lui.
Cette procédure judiciaire offre des garanties, préserve les droits des parties, et atteint, lorsque cela est justifié, l’objectif poursuivi par le texte.
Enfin, l’imprécision des termes employés : “défaillance” et “bienveillance”, utilisés alternativement dans le texte nous paraissent fragiliser l’application du dispositif et risquerait d’entraîner des contentieux nombreux et incertains.
Les auditions menées par notre rapporteure, Marie Mercier, que je souhaite saluer ici pour la qualité de son travail, ont d’ailleurs montré une opposition unanime des professionnels du droit.
Mes chers collègues, tout en partageant l’intention de protéger les victimes de maltraitance parentale, nous devons veiller à ne pas fragiliser les équilibres fondamentaux de notre droit civil.
En voulant corriger une injustice ponctuelle, nous prendrions le risque d’en créer de nouvelles, plus profondes encore, au détriment du principe de solidarité familiale et du droit à la défense.
C’est pourquoi, dans la continuité de la position exprimée par la commission des lois, le groupe Les Indépendants ne votera pas en faveur de cette proposition de loi.
SEUL LE PRONONCÉ FAIT FOI








