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Vanina PAOLI-GAGIN : PPL associer les épargnants à la transmission des exploitations agricoles.

30 Octobre 2023

Proposition de loi visant à associer les épargnants à la transmission des exploitations agricoles françaises

Madame la Présidente,

Monsieur le Ministre,

Monsieur le Rapporteur,

Mes Chers Collègues,


Le jeudi 7 septembre dernier, à l’occasion de la visite de M. le Ministre de l’agriculture et de la Souveraineté alimentaire dans l’Aube, j’ai eu l’opportunité de retourner dans les lycées agricoles de Saint-Pouange et Sainte-Maure. Les équipes enseignantes comme les élèves y partagent une même passion pour le travail de la terre, une même ambition : nourrir notre pays.


Mais tous partagent aussi une même préoccupation : la transmission des exploitations. C’est LE sujet de préoccupation principal, pour ceux qui se rapprochent du monde du travail comme pour ceux qui s’approchent de l’âge de la retraite.


Au cours de ces échanges, une chose m’a marquée : pour la première fois dans l’histoire de ces établissements, les jeunes lycéens ne sont plus nécessairement issus du monde agricole. C’est un basculement majeur. Il s’inscrit dans une dynamique au long cours qui modifie la sociologie de notre agriculture.

Pour dire les choses plus simplement : les agriculteurs de demain, dans leur grande majorité vraisemblablement, ne seront plus tous des enfants de paysans.


Il est essentiel d’avoir à l’esprit cette évolution structurelle, pour préparer correctement l’avenir de notre agriculture. Cette évolution n’est pas propre à mon département. Elle concerne l’ensemble du territoire national.


J’en veux pour preuve 3 chiffres issus du rapport que la Cour des Comptes a remis, en avril dernier, à notre Commission des Finances et dont je salue au passage la clairvoyance.


Le 1er chiffre concerne la diminution du nombre d’agriculteurs. Il a été divisé par 5 depuis 1955, passant de 2,5 millions à 500.000 en 2020. Cette baisse drastique s’est produite alors que la population active globale ne cessait d’augmenter.

La proportion des agriculteurs dans la population active s’est donc effondrée et les agriculteurs sont devenus une minorité.


Le 2e chiffre témoigne du vieillissement de cette population. Un exploitant agricole sur deux va partir à la retraite dans les dix prochaines années. C’est colossal. Il est urgent de préparer la relève, à la fois en formant des jeunes et aussi en facilitant leur entrée dans le monde agricole.


Le 3e chiffre atteste de l’agrandissement des exploitations. Depuis l’an 2000, la surface moyenne est passée de 42 à 69 hectares, soit plus de 60% d’augmentation.


On peut s’en désoler, regretter la disparation progressive des petites exploitations. Il faut en tout cas garder à l’esprit le fait qu’acquérir une exploitation est de plus en plus difficile.


Car le coût du foncier constitue, encore aujourd’hui, l’une des barrières à l’entrée pour les jeunes qui souhaitent s’installer, même si – rappelons-le – les terres françaises sont moins chères qu’ailleurs en Europe. Bien sûr, les investissements liés à l’équipement des installations, à l’acquisition des outils de production représentent aussi un coût très important.


Investissement dans le foncier d’une part, investissement dans l’outil de production d’autre part : tels sont les deux leviers sur lesquels nous pouvons agir, pour faciliter l’installation des futurs exploitants agricoles.


Monsieur le Ministre, je sais que vous êtes parfaitement conscient de toutes ces problématiques.


Une grande partie d’entre elles se trouve au cœur des travaux menés, dans le cadre de votre Plan pour l’avenir de l’agriculture, dont nous connaîtrons bientôt le contenu. Je suis sûre que vous présenterez plusieurs mesures pour apporter des solutions opérationnelles et concrètes à ces tendances.


Cependant, je crois que le Sénat ne perd jamais son temps, lorsqu’il veut aussi contribuer à l’avenir de l’agriculture, de la viticulture et de l’élevage dans notre pays. C’est aussi notre rôle de Chambre des Territoires.


C’est pourquoi notre Groupe a choisi d’inscrire à l’ordre du jour du Sénat, ma proposition de loi visant à associer les épargnants à la transmission des exploitations agricoles françaises.


De quoi s’agit-il concrètement, de créer un nouveau véhicule de portage financier pour acquérir du foncier agricole, qui sera ensuite donné à bail à long terme à un agriculteur, dans le cadre, je le précise, du statut du fermage. On est bien dans des baux agricoles de long terme.


Ce véhicule, je proposais de le nommer « Groupement Foncier Agricole d’Épargnants », pour drainer l’épargne privée vers l’acquisition de terres et renforcer la souveraineté alimentaire du pays.


Nous aurons largement le temps, Mes Chers Collègues, de revenir en détail sur les différents aspects techniques du dispositif. Mais je tiens à apporter quelques éclaircissements préalables.


Tout d’abord, sur son opportunité: pourquoi vouloir mobiliser l’épargne privée en vue de la diriger vers l’investissement dans le foncier agricole ?

Ce n’est pas la première fois que j’ai l’occasion de le dire ici : alors que notre dette publique bat chaque année des records, la mobilisation de l’épargne privée est un levier d’action majeur pour financer la transition écologique.

On estime ainsi la « sur-épargne Covid », c’est-à-dire l’épargne supplémentaire accumulée pendant la crise sanitaire, entre 150 et 300 milliards d’euros. C’est 3 fois le montant du plan de relance. C’est, en ordre de grandeur, la valeur de l’ensemble du foncier agricole français.


Je persiste et signe : pour réaliser les investissements nécessaires à la transition écologique, sans creuser la dette ni alourdir les impôts, il faut trouver des moyens d’orienter les capitaux privés vers nos priorités de politique publique. Il me semble que la souveraineté alimentaire en faire partie.


Ensuite, comment ces capitaux seront utilisés ?


La réponse est très simple : comme ils le sont déjà dans un Groupement Foncier Agricole classique. L’objectif, c’est de proposer un nouveau modèle pour mobiliser des capitaux. Le dispositif porte sur la collecte, pas sur la destination.


Ainsi, contrairement à ce que d’aucuns voudraient faire croire, je ne vous propose pas de remettre en cause le statut du fermage ou encore le rôle des SAFER. Ce sont là des sujets structurants, et ce n’est pas, à proprement parler, l’objet de cette proposition de loi.


Et pour cause : une fois que l’argent a été collecté auprès des épargnants, que le terrain a été acquis, toutes les règles qui s’appliquent aujourd’hui aux GFA s’appliqueront demain au Groupement Foncier Agricole d’Epargnants.


Le risque de prédation des acteurs étrangers qui a été agité par certains comme un épouvantail, n’est pas non plus un argument opposable à ce dispositif. Je ne dis pas que le sujet n’existe pas, bien au contraire mais il existe aussi dans l’état actuel de notre droit ; j’en suis très consciente, d’autant plus en tant qu’élue d’un terroir viticole. Le dispositif proposé n’y changera rien ; s’il ne résout pas le problème, il ne l’aggrave pas non plus. Les acteurs étrangers pourront tenter de se servir de ce nouveau véhicule, comme ils le font déjà avec les GFA qui existent actuellement.


Je tiens également à dissiper une autre crainte qui a pu être exprimée. Non, un investissement dans un GFA d’épargnants n’a pas vocation à être un produit d’épargne ultra liquide.


Ces groupements sont soumis aux dispositions du Code Monétaire et financier, respecteront des règles claires en matière de dépôt, de retrait et de cession d’actif. Et ces dernières règles ne relèvent pas du domaine de la loi, mais du domaine du règlement.


C’est pourquoi je m’en suis remise à la sagesse de notre Rapporteur, dont je tiens à saluer le travail, mais aussi la démarche extrêmement constructive dans laquelle il a abordé ce texte. Les GFA d’épargnants sont donc à sa préconisation et la Commission des finances a entériné cela, renommés GFA d’investisseurs.


La notion d’investisseurs semble générer effectivement, moins de confusion ; on ne s’adresse pas non plus à un public d’initiés, mais cela a l’avantage de rassurer quant à la finalité du véhicule proposé.


C’est aussi une façon de souligner la ressemblance avec les GFI, c’est-à-dire les groupements forestiers d’investissement qui sont aussi des outils très bien connus dans le domaine forestier.


Je me suis fortement inspirée de ces véhicules, lesquels ont déjà prouvé leur efficacité pour mobiliser les capitaux privés vers la consolidation et l’entretien de nos forêts. Au passage, je remarque, pour les fans du statuquo, que les GFI n’ont pas particulièrement transformé nos parcelles sylvicoles en places de marché livrées à la seule vénalité des spéculateurs.


Enfin, comment ce dispositif s’articulera-t-il avec les autres politiques publiques ?


Je le rappelle : ce dispositif ne remet rien en cause de ce qui existe déjà, ni les GFA d’exploitants familiaux, ni le rôle des SAFER, ni les aides à l’installation. Il s’agit simplement d’ajouter une corde à notre arc de politiques publiques, en faveur de la transmission des exploitations et du renouvellement générationnel.


En conclusion, Monsieur le Ministre, Mes Chers Collègues, je tiens à vous redire l’objectif de ce texte.

Si notre agriculture est un atout stratégique pour la Nation, elle est aussi traversée par de profondes évolutions, qui sont celles aussi de notre temps.

On ne préparera pas la relève des agriculteurs, sans adapter notre modèle aux aspirations des jeunes générations. Il faut valoriser d’autres modèles d’exploitation que le modèle familial, où ceux qui travaillent possèdent à la fois le foncier et l’outil de production.


L'hybridation des formes d'exploitation progresse, avec la montée en puissance des services. Et plus fondamentalement, c’est le rapport à la propriété qui évolue. Pour beaucoup de jeunes, la valeur réside dans l’usage, et non dans la propriété.


Il ne s’agit absolument pas d’opposer des modèles, mais bien de permettre à tous les Français qui veulent exercer la noble profession de travailler la terre - même quand vos parents ou vos grands-parents ne sont pas agriculteurs - de trouver un modèle qui convient. Il s’agit de fédérer les énergies autour d’un objectif clé : la souveraineté alimentaire et l’excellence agricole de notre pays.


Je crois que cette proposition apporte une petite pierre à ce vaste édifice. J’espère que le Sénat l’adoptera et qu’elle pourra utilement enrichir, Monsieur le Ministre, votre Plan d’avenir pour l’Agriculture.


Je vous remercie.

Interventions au Sénat

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