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Claude MALHURET : PJL Élection des représentants au Parlement européen

10 avril 2018


Explication de vote sur le projet de loi relative à l'élection des représentants au Parlement européen


Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, ce texte est l’occasion de nous demander quelle Europe politique nous souhaitons. Depuis sa création, sans interruption, ce que l’on pourrait qualifier aujourd’hui d’objet politique non identifié a posé une question de légitimité aux États et aux peuples.

Je crois profondément que cet enjeu de légitimité est l’une des sources des maux de l’Union européenne et qu’il ne pourra y avoir d’avancées ou de réformes européennes sans que cette question centrale soit tranchée.

Nous avons essayé beaucoup de choses pour que, enfin, le processus de construction européenne devienne légitime aux yeux des citoyens, qui avaient placé leur foi et leurs attentes dans l’État-nation depuis au moins deux siècles.

Beaucoup d’entre nous ont tenté de rendre l’Union européenne plus démocratique, plus transparente, plus efficace. Force est de constater que, si nous n’avons pas totalement échoué, nous n’avons pas réussi non plus. Nos petites touches impressionnistes, nos petits pas – chers à Jean Monnet – visant à rendre l’Union européenne plus légitime n’ont pas été compris des peuples, qui n’y ont souvent vu que barbouillage ou petits arrangements. L’affaire Selmayr, que j’ai dénoncée devant la Haute Assemblée, participe de ce triste paysage que l’Union européenne s’offre parfois à elle-même.

Un symptôme mesurable de ce désenchantement persistant se trouve dans la participation en chute libre aux élections au Parlement européen, cela a été dit. Alors que les pouvoirs de ce dernier n’ont fait que se renforcer au fil des ans, la participation aux élections européennes a reculé de 46,8 % en 1999 à 42 % en 2014. Le Parlement européen est devenu ce qu’Hannah Arendt appelait « un pouvoir sans autorité », c’est-à-dire, en démocratie, un pouvoir privé de légitimité aux yeux des citoyens.

La question que nous nous posons est donc la suivante : la mise en place de circonscriptions régionales en 2003 a-t-elle permis d’enrayer ce phénomène d’éloignement démocratique, a-t-elle permis de rapprocher les citoyens européens de leurs représentants ? Force est de constater que, depuis 2003, trois élections ont passé et que rien n’a changé. Le sentiment de non-représentation persiste chez nos concitoyens.

Or ce panorama démocratique morose n’est pas une fatalité. Après tout, le slogan de la campagne des premières élections au Parlement européen au suffrage universel, en 1979, était déjà : « L’Europe, c’est l’espoir. »

Aujourd’hui, il nous faut retrouver cet espoir, provoquer un véritable choc démocratique pour l’Union européenne, afin de créer ce que Jürgen Habermas appelle un « espace public européen ».

Le texte que nous examinons constitue un pas modeste dans cette voie, mais il contribuera, à mon sens, à rendre le débat européen plus présent et plus visible aux yeux des Français ; il permettra de mettre les grands dossiers de la politique européenne au premier plan des discussions ; il forcera chacune des forces politiques de ce pays à se positionner clairement, ce qui n’est pas encore gagné ; il permettra de donner de la lisibilité à un mode de scrutin assez opaque et méconnu par nos concitoyens ; il permettra, enfin, de porter au Parlement européen des députés plus forts et plus responsables face à leurs homologues européens, qui sont, pour la plupart, déjà élus sur des listes nationales.

Dans le monde actuel, fait de représentations et d’images, nous avons besoin d’une Europe incarnée par des personnalités engagées. Quand Simone Veil, François Mitterrand ou Jacques Chirac, en 1979, Dominique Baudis et Michel Rocard, en 1994, François Hollande, Charles Pasqua et Nicolas Sarkozy, en 1999, conduisent des listes, les citoyens sentent immédiatement que les enjeux sont à la hauteur des forces qui sont jetées dans la bataille. Ils perçoivent alors que la politique nationale et la politique européenne ne sont pas des sphères séparées, comme on veut souvent nous en convaincre, mais constituent les deux faces de la médaille de l’intérêt général.

Tout cela est positif. Nous soutiendrons par conséquent ce texte en l’état, mais cela ne suffira pas à réenchanter le projet européen. Il faut aller plus loin sur le chemin d’une véritable légitimité européenne.

Tout d’abord, il faut trouver les moyens de faire en sorte que la composition de la Commission résulte d’un choix démocratique et non de petits arrangements entre États. Nous ne pouvons remettre en cause l’acquis démocratique d’une Commission responsable devant le peuple européen et devant ses représentants. Les discussions sur les Spitzenkandidaten ou sur les listes transnationales ne sont pas abouties, mais offrent une contribution utile à ce débat. Elles doivent se poursuivre.

La responsabilité est donc un pilier de la légitimité. Un autre est constitué par la transparence, notamment des nominations des commissaires et des hauts fonctionnaires de la Commission européenne, lesquelles doivent être mieux contrôlées. De même, l’opacité des manœuvres entre États ne doit pas être remplacée par des arrangements entre les partis.

Enfin, selon moi, le dernier pilier de la légitimité européenne doit être la proximité. L’éloignement des institutions et des parlementaires européens est une des causes du désenchantement des peuples. Paradoxalement, il me semble que l’ancien système de circonscriptions interrégionales, en raison de sa complexité et de son manque de lisibilité, n’a pas contribué à instaurer cette proximité. Le retour à la circonscription nationale doit aller dans ce sens, avec une représentativité plus forte des candidats et des engagements plus contraignants pour les parlementaires.

La bataille de la légitimité, mes chers collègues, est la mère de toutes les batailles en Europe. Nous ne la gagnerons qu’en faisant preuve de courage politique et en acceptant, une fois pour toutes, qu’une Union européenne plus puissante et plus intégrée offre la promesse d’une France plus forte et plus influente.


Interventions au Sénat

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