Cent jours depuis le retour de Donald Trump à la Maison Blanche. Réaction du Président Claude Malhuret
- Les Indépendants
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30 avril 2025
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Le 4 mars dernier, dans un discours au Sénat français je posais cette question : pourquoi, devant tant de décisions insensées de leur Président, les américains ne réagissent-ils pas ? Aujourd’hui cette question ne se pose plus : les américains ont réagi. Des manifestations dans toutes les grandes villes, des parlementaires interpellés dans les town halls, des gouverneurs qui refusent les executive orders illégaux, des juges qui les annulent, des sondages qui chutent. Et je me réjouis de cette résistance.
Mais je dois aussi le dire, avec toute la franchise que l’on se doit entre amis : pour l’heure les protestations, les manifestations, les oppositions n’ont pas empêché la situation de s’aggraver.
Chaque jour apporte son lot d’annonces hallucinées. Droits de douane invraisemblables, expulsions arbitraires, attaques contre la sécurité sociale, les retraites, la liberté d’expression, l’éducation, la justice, la Constitution, les vétérans, les droits des électeurs, les universités et la science. Donald Trump ne prend pas de décisions, il prend sa revanche.
Chaque jour la confiance dans l’Amérique perd du terrain. En faisant chuter la Bourse et le dollar, fuir les acheteurs d’US bonds, en enfermant son pays derrière une muraille douanière, et, comme Al Capone, en expliquant aux alliés qu’ils paieront ou qu’ils auront des ennuis, celui qui prétend redonner sa grandeur à l’Amérique est en train de la rabougrir.
Chaque jour, l’incertitude augmente. On expose devant toutes les télévisions un tableau surréaliste de tariffs de 10 à 150% avant de les retirer le lendemain. On annonce la guerre économique à la Chine avant de s’aplatir en 48 heures. On menace de limoger le Président de la FED avant de faire machine arrière devant la chute des marchés. Les executive orders sont contestés en justice, ce qui accroît la confusion. Le brouillard est le pire ennemi de l’économie et le Donald krach était inévitable. Il va se poursuivre, au rythme des pirouettes de ce roseau peint en fer. Personne ne sait ce qu’il fera après les 90 jours de pause, mais à l’évidence celui qui le sait le moins est Donald Trump lui-même.
Chaque jour la soumission est préférée à l’expertise. Les membres du cabinet sont nommés non pas malgré mais à cause de leur nullité. Un ministre de la santé qui ne sait même pas localiser sa vésicule biliaire expose ses théories fumeuses sur les dangers des vaccins ou l’origine du SIDA. Le ministre de la Défense, entre deux rasades de gin, papote en ligne avec sa famille et ses amis sur les opérations militaires en cours sous les yeux des services de renseignements du monde entier. Le Chief Counselor for trade, ou plutôt le Chief Forger, invente un économiste fictif pour soutenir ses thèses absurdes. Le chargé des négociations sur l’Ukraine fricote depuis des années avec un oligarque proche de Poutine. Quant au Vice-Président, il a réussi l’exploit d’être en quelques jours plus détesté aux Etats-Unis que tous ses prédécesseurs, mais de l’être aussi dans toute l’Europe après son discours de haine à Munich. Il suffit de l’écouter pour imaginer l’interminable rage de dents qu’est sa vie. Dans mon précédent discours, je comparais le nouveau gouvernement américain à la cour de Néron. Je me trompais. C’est la cour de Caligula, qui avait un jour nommé son cheval Consul. Mais au moins son cheval ne faisait de mal à personne.
Chaque jour dans le bureau ovale, assis dans un fauteuil assorti à ses cheveux Trump fait défiler devant la presse les chefs d’Etat qui se succèdent comme dans une émission de téléréalité, effarés ou serviles, semblant se demander ce qu’ils font là, forcés d’ingurgiter des discours dégoulinant d’autosatisfaction, d’inculture vaniteuse, de grossièreté revendiquée et d’overdose de lui-même. Ils savent maintenant pourquoi ils ont été invités puisque Trump l’a expliqué : pour « kiss his ass ».
Mais le pire bien sûr, c’est la trahison. Depuis l’humiliation de Zelensky dans le bureau ovale, qui a choqué le monde entier, et beaucoup d’américains, chaque jour aggrave la capitulation devant Poutine. Vote à l’ONU en faveur de la Russie, aux côtés de la Corée du Nord et du Nicaragua, démantèlement des structures fédérales chargées d’examiner les ingérences russes aux Etats-Unis, nomination d’une directrice du renseignement que le propagandiste russe Soloviev qualifie lui-même à la télévision d’agent de Poutine, fermeture de Voice of America après 80 ans d’activité. Et ce pauvre Witkoff, l’ami des oligarques, chargé du dossier Ukrainien dont il ne connait rien et qui joue le perroquet du Kremlin chaque fois qu’il revient de Moscou. Comme le dit un fonctionnaire du Département de la Sécurité : « Poutine est maintenant à l’intérieur. » Aujourd’hui quand les chats mangent les souris, ils déclarent que les souris les avaient agressés. Et Trump les croit. Est-il sous kompromat ou simplement d’une crétinerie absolue ? Ce qui est certain, c’est qu’il est le meilleur Président russe de toute l’histoire américaine.
Son plan pour un cessez le feu en Ukraine va au-delà des rêves les plus fous de Poutine : annexion de la Crimée, occupation de quatre oblasts, absence de garanties de sécurité pour Kiev et braquage des richesses minières. Il est bien évidemment inacceptable pour les ukrainiens et catastrophique pour les européens.
Je décrivais les débuts de la Présidence Trump comme une tragédie. Au bout de cent jours il s’avère que c’est une farce. Mais une farce sinistre. Chaque décision du matamore de Mar-A-Lago a eu des effets désastreux. En économie le plongeon de la Bourse et du dollar, la hausse des taux et le début de récession. En politique étrangère le lâchage des alliés, la servilité devant Moscou et la guerre commerciale avortée contre la Chine où l’arroseur s’est retrouvé arrosé. En politique intérieure la bataille généralisée avec les Etats, les fonctionnaires, les universités et tant d’autres. Trump va de plus en plus vite, mais à reculons.
Les recettes mercantilistes, nationalistes, xénophobes et rabougristes sont en train de donner les résultats qu’elles ont toujours donné dans l’histoire et qu’a très bien résumé un écrivain français, Charles Péguy : « Le triomphe des démagogues est passager, mais les ruines sont éternelles ».
Mais le pire n’est jamais certain. Le trot d’un âne ne dure pas longtemps, disent les italiens. En trois mois le trumpisme commence à se lézarder. L’alliance contre-nature entre des anywhere milliardaires et une base de somewhere a duré le temps d’une campagne électorale. Depuis, les milliardaires de la tech ont perdu leurs milliards et ceux qui ont cru dans leurs promesses ont perdu leurs emplois. Musk est déjà reparti pour tenter de sauver les meubles chez Tesla. Et Steve Bannon mène la révolte de l’aile populaire contre les oligarques des GAFAM.
Mais il serait naïf de croire que l’édifice va s’écrouler tout seul. Il faut donc résister.
C’est ce que tentent de faire les européens, avec d’infinies précautions pour ne pas aggraver la crise. Ils ont répondu à la hausse des tarifs par une proposition d’abaisser tous les tarifs à zéro de part et d’autre. Ils répliquent à l’hostilité en tentant de maintenir les canaux de communication. Ils préparent, difficilement, les moyens de continuer à soutenir l’Ukraine le jour où le caniche de Moscou décidera de lâcher définitivement Zelensky. Ils entreprennent, trop timidement, de se réarmer.
Mais bien sûr c’est avant tout des américains que dépend l’avenir de leur pays, donc en grande partie celui du monde. Voici plus de quatre vingts ans que nous avons construit ensemble le monde libre où nous vivons aujourd’hui. Et voici plus de deux siècles que nous partageons les mêmes valeurs : la démocratie, les droits de l’homme, la liberté d’entreprendre qui fait que chaque américain et chaque européen se sent au plus profond de soi appartenir à une même civilisation, au point que jamais les uns et les autres n’auraient pu imaginer qu’un jour, en aussi peu de temps, des dirigeants se donneraient pour but de creuser un fossé entre eux.
J’ai un message pour mes amis américains. Il faut que tous les défenseurs des libertés redoublent d’efforts. Qu’ils convainquent les Républicains du Congrès qui ont cru toute leur vie au libre-échange, à leurs alliances, à l’ordre mondial, à la lutte contre les régimes totalitaires, que Trump est en train de les déshonorer. Qu’ils convainquent les élus Démocrates de faire entendre leur voix plus fortement qu’ils ne le font aujourd’hui. Et qu’ils convainquent enfin tous les américains de se battre pour les valeurs qui ont fait de leur nation la plus libre, la plus riche et la plus puissante du monde.
Je suis certain que ce moment arrivera plus vite qu’on ne le pense.
This is a message to my American friends.
A few weeks ago, during a speech at the French Senate, I asked this question: why, in the face of so many reckless decisions by their President, aren’t Americans reacting? Today, that question no longer stands: Americans have reacted. You have reacted. Protests in every major city, lawmakers challenged at town halls, governors refusing to enforce illegal executive orders, judges striking them down, plummeting approval ratings. This resistance is heartening
But I must also say this, with the frankness owed between friends: for now, the protests, the demonstrations, and the opposition have not prevented the situation from getting worse.
Every day brings a new batch of delusional announcements. Outlandish tariffs, arbitrary deportations, attacks on Social Security, pensions, free speech, education, justice, the Constitution, veterans, voter rights, universities, and science. Donald Trump doesn’t make decisions; he settles scores.
Each day, America's credibility erodes a little more. By crashing the stock market and the dollar, scaring off US bond buyers, walling off the country behind a tariff barrier, and, like Al Capone, telling allies they must pay up or face trouble, the man who claims he will make America great again is, in fact, diminishing it.
Every day, erratic measures increase uncertainty. Tariffs between 10% and 150% are paraded on television one day, only to be scrapped the next. A trade war is declared on China, then reversed within 48 hours. The President of the Federal Reserve is threatened with dismissal, only for Trump to backpedal when the markets collapse. Executive orders are challenged in court, adding to the chaos. Fog is the economy’s worst enemy, and the "Donald Crash" was inevitable. It will continue, in step with the flip-flopping of this reed painted in iron. Nobody knows what he will do after the ninety day "pause" — least of all apparently, Donald Trump himself.
Every day, loyalty is valued over expertise. Cabinet members are appointed not despite, but because of their incompetence. A Health Secretary who cannot locate his own gallbladder peddles half-baked theories on vaccines and the origins of AIDS. The Defense Secretary, between two sips of gin, chats online with friends and family about ongoing military operations, under the watchful eyes of intelligence services worldwide. The Chief Counselor for Trade — or rather the Chief Forger — invents a fake economist to back his absurd theories. The Ukraine negotiator has long-standing ties with an oligarch close to Putin. And as for the Vice President, he has managed the rare feat of becoming more despised across the United States — and Europe — within days, especially after his hate-filled speech in Munich. Listening to him, one can only imagine the endless toothache that must be his life. In a previous speech, I compared the new American administration to Nero’s court. It also looks like Caligula’s court — Caligula, who once appointed his horse as Consul. But at least his horse didn’t hurt anyone.
Every day in the Oval Office, seated in a chair matching his hair, Trump parades world leaders before the press like on a reality TV show — some stunned, others servile — seemingly wondering what they’re doing there, forced to endure speeches dripping with self-congratulation, ignorant vanity, boastful vulgarity, and a chronic overdose of himself. Now they know why they were invited — Trump has explained it: to "kiss his ass."
But the worst, of course, is the betrayal. Since the humiliation of Zelensky in the Oval Office — an incident that shocked the world, and many Americans — each day worsens the capitulation to Putin. Voting with Russia at the UN, alongside North Korea and Nicaragua. Dismantling federal structures investigating Russian interference. Appointing an intelligence director whom Russian propagandist Soloviev publicly called “a Putin agent.” Shutting down Voice of America after 80 years. And poor Witkoff, the oligarchs’ friend, clueless about Ukraine, dutifully parroting Kremlin talking points after every trip to Moscow. As a Department of Homeland Security official put it: “Putin is inside the house now.” Today, when cats eat mice, they claim the mice attacked them — and Trump believes them. Is he under kompromat, or simply an utter fool? What is certain is that he is the best Russian President in American history.
His so-called ceasefire plan for Ukraine goes beyond Putin’s wildest dreams: Annexation of Crimea, occupation of four oblasts, no security guarantees for Kyiv, and looting of Ukraine’s mineral wealth. Of course, it is unacceptable to Ukrainians and catastrophic for Europeans.
I once described the early Trump presidency as a tragedy. After one hundred days, it turns out to be a farce — but a sinister one. Every decision by the braggart from Mar-A-Lago has had disastrous effects. In economics: plunging markets and dollar, rising rates, and the onset of recession. In foreign policy: betrayal of allies, subservience to Moscow, and a trade war with China that backfired spectacularly. In domestic policy: a general battle with states, civil servants, universities, and more. Trump is moving faster and faster — but in reverse.
Mercantilist, nationalist, xenophobic, and regressive policies are producing the results they always have throughout history, best summed up by French writer Charles Péguy: "The triumph of demagogues is short-lived, but the ruins are eternal."
But the worst is never guaranteed. As the Italians say, “the donkey’s trot doesn’t last long.” In just three months, Trumpism is starting to crack. The unnatural alliance between “anywhere” billionaires and the “somewhere” base lasted only as long as an election campaign. It is now falling apart before our eyes. The tech billionaires have lost their billions, and those who believed their promises have lost their jobs. Musk has already rushed back to Tesla, trying to salvage what's left. Steve Bannon is leading a populist revolt against the tech oligarchs.
But it would be naive to think the structure will collapse on its own. Resistance is necessary.
This is what Europeans are trying to do — cautiously, to avoid worsening the crisis. They responded to tariff hikes with a proposal to eliminate all tariffs on both sides. They are countering hostility by trying to keep communication channels open. They are, slowly and imperfectly, preparing to continue supporting Ukraine the day the little telegraphist from Moscow finally abandons Zelensky. They are beginning — too timidly — to rearm.
But ultimately, it is up to Americans to shape their country’s future — and by extension, the future of much of the world. For over eighty years, we have built the free world together. For more than two centuries, we have shared the same values: democracy, human rights, and free enterprise — values that make every American and every European feel part of the same civilization. So much so that neither side could have imagined that one day, in so short a time, a Président would set out to dig a trench between them.
Every defender of liberty must step up their fight. They must persuade those Republican congressmen who have believed all their lives in free trade, alliances, the world order, and the fight against totalitarian regimes, that Trump is dishonoring them. They must encourage Democratic representatives to speak louder than they do today. And they must convince their fellow Americans to restore the values that made their nation the freest, richest, and most powerful in the world.
I am confident that moment will come sooner than we think.
Voir aussi : Prise de parole de Claude Malhuret le 04 mars 2025 à l'occasion d'une déclaration du Gouvernement, suivie d’un débat, en application de l'article 50-1 de la Constitution, portant sur la situation en Ukraine et la sécurité en Europe.